Mal dormi cette nuit. Après m’être disputé avec Nelly, je suis allé dormir sur un fauteuil du salon et m’y suis réveillé à deux heures quarante-quatre du matin avec un affreux mal de tête. Alors, non sans mal, je me suis levé, et j’ai rejoint Nelly dans notre lit. Il ne faisait pas excessivement chaud, mais l’air était lourd, et quand je me suis réveillé pour la deuxième fois de la nuit, je sentais affreusement mauvais. C’est dans cet état que j’ai achevé le matin du 29 juillet. Ensuite, au lieu de me doucher, je me suis aspergé d’un peu d’eau d’orange verte, j’ai mis un short et un tshirt, enfoncé ma casquette kaki supermarché sur la tête, enfilé mes baskets et suis allé jusqu’à la source du Loir, à Saint-Éman. Pendant l’heure cinquante que j’ai marché, je n’ai croisé personne ou presque. Et ainsi, traversant les champs, longeant les routes, tournant autour des églises et des étangs, j’ai pu ruminer tout mon mauvais caractère. En chemin, au retour, j’ai pensé à maman, mais je n’ai pas pensé tout de suite à ce qu’elle me disait, enfant : « Jérôme, avoir du caractère, cela ne veut pas dire avoir mauvais caractère ». Intellectuellement, j’ai toujours fait la distinction avec la plus grande des clartés, mais émotionnellement, si j’ose employé cet adverbe assez laid, et bien que j’en emploie un peu trop aujourd’hui, des adverbes, je crois que je n’y suis jamais parvenu. Et, de fait, je crois que je n’ai pas du caractère, mais simplement mauvais caractère, ce qui, comme le savait bien maman, n’est pas du tout la même chose. En chemin, toujours, j’ai pensé aussi que j’étais lâche et que j’étais faible, mais je crois que je n’ai pas su quoi faire de cette remarque. Il est vrai que j’ai mauvais caractère, vrai que je suis lâche, vrai que je suis faible, mais énoncer de la sorte litanique mes défauts, et Dieu sait que j’en oublie, à quoi cela m’avance-t-il ? Je suis incorrigible, qui plus est, ce qui n’est pas le moindre des défauts. Mais, malgré mon mauvais caractère, je me suis senti bien. J’étais heureux de me trouver là où je me trouvais, heureux de marcher sur ces chemins, et j’ai songé que je n’avais pas envie de rentrer à Paris, pas envie d’aller à Marseille, et que, de toute façon, je ne resterais pas ici, ce qui ne rend pas la situation moins compliquée qu’elle ne l’est déjà, ou me semble l’être, tandis que, peut-être, elle ne l’est pas. En plus d’être toujours en retard, comme je l’écris dans le matin du 29 juillet, j’ai encore ce défaut d’être toujours en avance, de me projeter dans un un temps qui n’est pas là et qui, parce qu’il n’est pas là, donc, n’existe pas, n’existera peut-être jamais. Cela ne signifie pas que je ne suis jamais à l’heure : j’étais bien, là où je me trouvais, ce matin, tout comme je me sens bien en ce moment que j’écris, parce que je suis à l’heure, je suis synchronisé avec le temps qui passe, qu’importe le temps qu’il fait, je suis là où je dois être, non, mieux : je suis là où je suis. Les gens qui ne me trouvent pas assez bien à leur goût ignorent généralement les progrès que j’ai faits depuis l’époque, et à vrai dire un peu après, surtout, les progrès que j’ai fais depuis l’époque où ma mère faisait pour mon éducation la distinction entre le caractère et le mauvais caractère, à quel point je me suis amélioré, à quel point, quand même il serait encore tout à fait exécrable, mon caractère est bien meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était avant, ce qui prouve que je suis un bon sujet rousseauiste, contrairement à mes détracteurs, qui ne sont que des imbéciles. Penser cette pensée au sujet de maman m’émeut, non parce qu’elle me manque, mais parce que je me revois avec elle, enfant, et que ce souvenir est beau. Ou plutôt, non : le souvenir n’est pas beau, mais ce dont il est le souvenir, oui. C’est au moins cela de bon que je puis tirer de mon mauvais caractère.