19824

Retour éphémère à Paris avant de prendre la direction de Marseille — où je n’ai pas envie d’aller — pour fêter l’anniversaire de mon père — que j’ai envie de voir. Si la vie n’était striée de pareilles contradictions, vaudrait-elle la peine d’être vécue ? Bien que la ville paraisse un peu vide, elle n’est pas déserte, et l’inadmissible vacarme que font les humains quand ils s’entêtent à vivre semblent ne jamais s’interrompre. De fait, la traversant, on reconnaît la ville sans la reconnaître. Le vide apparent devrait me convenir, mais en fait, non. Ne demeurent que des touristes, ou quasi. Pour compenser cette impression de néant, je sors acheter des livres (La perspective comme forme symbolique et Essais d’iconologie dont je me demande à présent comment il se fait que je ne les ai jamais lus), je vais faire des courses pour nourrir ma petite famille, et puis décide d’aller courir au Luxembourg. Dix kilomètres dans mon jardin. Je m’aperçois le parcourant ainsi qu’il y a des endroits sans lesquels je ne pourrais pas vivre, ou alors moins bien, un peu plus en vain, et qu’il en fait partie. Tout en courant, je saisis des fragments de scène : ce jeune homme maigre qui porte un tshirt DIO et qui, tout en tenant la main à sa compagne largement plus volumineuse, lui explique d’un ton docte et content de lui, je cite : « En fait, c’est ça, la masculinité toxique », ça quoi ? je ne le saurai jamais, mais elle n’a pas l’air convaincu, cette jeune femme qui, telle l’Albertine postmoderne des jours d’été, a bien du mal à faire rentrer les mots dans sa bouche après qu’ils en sont sortis : « J’ai vu ça sur Instagram… Enfin, je ne vais presque jamais sur Instagram, mais pendant les vacances… », ça quoi ? ce ça-là, non plus, je ne le connaîtrai jamais, cet autre jeune homme qui, tout en massant les pieds de la jeune femme qui se trouve assise en face de lui, lui explique qu’il est très exigeant avec les femmes, et tout cela est très étrange, comme une mosaïque de vies dépourvue de réelle signification, si j’y suis sensible, c’est probablement que, durant les cinq semaines qui viennent de s’écouler, malgré la relative désertification de Paris en été, la densité de Combray était sans commune mesure avec celle de la capitale. Je me demande : D’où viennent tous ces gens ? Qui sont-ils ? Et pourquoi s’acharnent-ils à partager le même espace que moi ? Que faites-vous chez moi ? Est-ce que je vais chez vous, moi ? Dieu sait de quel recoin perdu de la terre et d’où il ne convient pas de jamais sortir vous venez respirer le haut esprit qui souffle dans les rues de Paris. Mais que faites-vous ici ? Allez-vous-en. Mais rentrez chez vous, rentrez chez vous, à la fin. Quelle aventure — la vraie —, me dis-je en m’amusant à faire ces phrases absurdes destinées uniquement à m’amuser. Eh oui, que voulez-vous ? L’aventure, c’est Paris à la mi-août.