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Me trouvant, à cause d’un virus que j’ignore et ne veux pas connaître (je laisse en effet à mon autopsie future tout le soin de révéler la vraie nature de mes mucosités), accablé d’une intelligence avoisinant celle d’une amibe en itt, je ne puis toutefois jouir du repos ordinaire qui fait le bonheur de mes contemporains puisque, par une sorte de ricanante ironie, vengeance du destin que j’ai probablement bien méritée, moi, j’ai conscience de ma bêtise, et me vois ainsi réduit à la contemplation de ma propre nullité, dépourvu d’idées, d’énergie, de réelles envies, de tout ce qui fait que, après tout, malgré tout, la vie vaut un peu la peine d’être vécue. Sans souvenir de quelque rêve remarquable, comme ce fût heureusement le cas hier, sans vision hallucinée à narrer, comme cela parfois peut arriver, ce journal ressemble à une machine dont, sans fin, le moteur tournerait à vide : il fonctionne, mais il n’y a personne pour lui donner une quelconque direction. Si je ne souffre plus de fièvre, je me sens fatigué, très, mon tympan droit m’a de nouveau abandonné, hier, en début de matinée, je me traîne lamentablement pour faire quelques pas, ai l’impression de passer ma vie à transpirer, à ahaner, sens une masse lourde et insignifiante dodeliner entre mes deux épaules, un peu au-dessus, là, oui, comment ? ma tête, dites-vous ? ah, quelle drôle de façon de s’exprimer, et à quoi sert-elle, « ma tête », comme vous dites, dans votre parler ? des quintes de toux étouffées font entendre le meilleur de mon élocution, et quant à mes mains, jadis prolongements d’une âme qui ne fut peut-être pas sans beautés, elles semblent pendre, désormais, désœuvrées. Le spectacle lamentable que j’offre à moi-même me déprime, un peu comme si toute mon existence était ainsi résumée, qui finissait toujours de la sorte, sans drame, sans tragédie, dans une léthargie banale, médiocrement mal. Aussi, comment en voudrais-je à mes semblables — quel étrange sobriquet, « mes semblables » — de préférer la éneplusunième polémique décevante au mémoire de ma santé fatiguée ? Qu’est-il, en effet, ce dernier, sinon la preuve que je suis comme eux et que cela n’est guère glorieux ?