Un instant, la bande de ciel bleu tracée de nuages blancs illuminés par le soleil couchant est sublime dans le cinquième supérieur de la fenêtre. Depuis la rue, montent les sons lointains mais pas assez des véhicules permanents et des éternels attablés de l’happy hour. Toujours, la vie semble ainsi, belle et insipide à la fois, délicieuse et insupportable, divine et d’une crasse laideur. Cela, l’ai-je déjà écrit ? Si ce n’est ici, je l’ai pensé : le mensonge, c’est de sentir l’un sans l’autre, de penser l’un sans l’autre. Et ce mensonge (d’un ton kitsch ou apocalyptique) est l’ennemi de la beauté, de sa perception, de son expression, l’ennemi de la vie. J’ai considéré avec insistance cette bande bleue tracée de blanc dans le cinquième supérieur de la fenêtre de la chambre à coucher. Quelques minutes après, à peine, le soleil n’illuminant plus au couchant les nuages, le charme se rompait, non que la beauté se fût enfuie (où diable serait-elle allée ?), mais je ne la voyais plus, elle ne se manifestait plus à moi, me résistait moins qu’elle ne se cachait, se dérobait, un peu plus loin dans le ciel, ou ailleurs, la où, quoi qu’il en soit de la place qu’elle occuperait, je ne la verrais plus. Mais je l’ai vue, et n’est-ce pas ce qui importe le plus ? Que je voie, que j’aie vu, que je verrai. Sinon, si l’on ne voit plus le dehors, qu’on ne voit plus que le fond palpable de sa pensée ou la concavité immédiate d’un insignifiant nombril, que voit-on ? Jamais que le reflet — sinistre, triste, limitant — de notre propre moi, — impropre à rien, en vérité. Définitivement, la lumière dans le ciel s’en est allée. Restent les bruits qui montent du boulevard, les ricanements de table, le vrombissements de l’asphalte, tout un monde qui pourrait se taire mais qui, contrairement à tous ces mondes que nous aimerions entendre, ne se tait jamais, monopolise bien plutôt la parole, la confisque. Il suffit de passer quelques instants avec ses semblables pour être convaincu de l’inutilité de l’existence : oh, tout ce bavardage. C’est certainement de ma faute si je suis seul, mais de combien d’êtres avons-nous besoin pour vivre, vraiment ? De ces milliards de voix qui toutes parlent en même temps — on appelle ce phénomène d’incompréhension généralisée, la communication —, qui a besoin ? Il faudrait un laps de silence long comme une vie pour se faire des oreilles neuves, libres de tout acouphène, et entendre le monde vibrer comme il vibra peut-être, longtemps, longtemps avant notre naissance. Mais qui se soucie du silence ? Et qui a une oreille pour la musique ? Ma lumière est partie, le ciel est gris. Parle, parle, ne te retiens pas, de toute façon, personne ne t’écoute.