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Temps gris. Que la vie parfaite te semble à portée de la main — parfaitement accessible —, n’est-ce pas le signe qu’elle est déjà là ? Que, en vérité, d’une manière que tu ne perçois pas encore clairement, que tu ne peux pas sans doute percevoir clairement, tu y es déjà parvenu, la tiens déjà dans tes mains (encore qu’elle soit insaisissable) ? Alors, bien sûr, c’est toujours le même bruit sur le boulevard, les mêmes sirènes qui hurlent des colères étrangères, et tous ces gens semblables à des rats et ce rat, à son tour semblable, j’en prends conscience à présent, à ce pigeon qui avait élu domicile sur la chaussée, à Combray, dangereusement près des pneus des voitures qui passaient là, comme s’il se savait déjà mort et cherchait à accélérer le procédé de l’inéluctable, je l’avais trouvé mort, un peu plus tard, dans le caniveau, ce rat qui traîne sur le boulevard sa longue queue grise, il l’étale là où vont échouer les cadavres de la modernité, laquelle queue n’est pas répugnante en elle-même, mais dans la relation qu’elle fait de la ville, le récit de ce monde dans lequel nous sommes condamnés à vivre, tous les animaux se préparent-ils à la mort de la même façon ? À propos de la mort, aujourd’hui, j’ai eu des pensées que je ne confesserai pas ici. Peut-être parce que, justement, elles ne peuvent être confessées ; — y a-t-il une rédemption pour l’idée que je me fais de la mort, tellement étrangère à l’ἦθος de cette époque, l’idée que je me fais de la mort, c’est-à-dire de la vie ? Regarde comment nous nous préparons à la mort : n’est-ce pas le signe que, derrière nos passions égalitaires, notre bienveillance mièvre, nous haïssons la vie ? Qui, ne haïssant pas la vie, accepterait de vivre comme nous vivons ? Assise là même où les rats se laissent aller à vivre et puis à mourir, l’humanité viendra écluser sa bière. On appelle cela, l’heure heureuse. Trouver le bonheur dans la bière, la belle aspiration que voilà. À l’heureuse, que dire ? sinon que je préfère l’heure exquise.