Depuis plusieurs années, j’ai envie d’écrire un livre sur Chardin, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Un livre, du moins, dans lequel il serait question de Chardin. Un esprit rieur me répondrait : « Eh bien, en regardant ces tableaux pour commencer, pardi », et c’est vrai, mais ce n’est peut-être pas si simple que cela. N’est-ce vraiment pas si simple que cela ? Qui sait ? « Depuis plusieurs années », ai-je écrit, et je n’ai pas compté exactement combien d’années, mais je crois que le compte est approximativement bon, « depuis que j’ai vu Paris dans Chardin » serait toutefois une expression plus exacte de cette tentative de datation, depuis que j’ai vu Paris à travers le regard de Chardin et que j’y ai trouvé quelque chose de beau, non pas de beau, je crois que ce n’était pas une question de beauté, quelque chose de désirable, — un lieu où vivre. Étrange façon de voir les choses ? Peut-être. Peut-être aussi faudrait-il commencer par elle, par cette vision traversante, comme chez Dürer, mais pas comme chez Dürer parce que la traversée de la surface plane du tableau ne s’arrête pas à la surface du tableau (on fait comme si le tableau n’existait pas), mais passe à travers le tableau en prenant conscience de la réalité du tableau, de la réalité de la réalité (on fait comme si tout existait, est-ce que tout n’existe pas ?). Voir Paris à travers les yeux de Chardin. N’est-ce pas passablement confus ce que j’écris ? Qui sait ? Dans ce dessein d’écrire un livre sur Chardin, ou en tout cas dans lequel il serait question de Chardin, j’ai repris la lecture du Chardin de Jean Louis Schefer, que j’ai déjà lu une première fois il y a plusieurs années, mais mes yeux se sont perdus dans les lignes de son texte (et de son sous-texte, cf. la critique de Baxandall, mais sans le citer jamais, ce qui est une preuve de mépris, mais s’avère dommage, on aimerait en savoir un peu plus). Schefer n’y est sans doute pas pour grand-chose si sa prose m’a assommé, n’est-ce pas moi, le problème ? Enfin, je crois que c’est moi. Mais qui sait ? Ou, plus exactement, le problème, c’est que, demain, j’aurai quarante-sept ans et que je n’ai pas envie d’avoir quarante-sept demain et que, pourtant, à moins de décéder dans les quelques heures qui me séparent de demain (à l’heure où j’écris cette phrase, ce seize septembre deux mille vingt-quatre, il est sept heures sept du soir), j’aurai quarante-sept ans demain. Qu’y faire ?