Faut-il que j’écrive ? Il faut que j’écrive. Je me suis assis au Jardin du Luxembourg et j’ai lu les Pensées. Il me paraît impensable de m’être trouvé là, à lire Pascal, dans le vent qui soufflait, le défilé permanent des touristes, des coureurs, des gens tels qu’ils sont, tels qu’ils se satisfont d’être. Ai-je eu l’impression que le monde était fou et que j’étais une île de santé ? Oui, je le crois. Et c’est le sentiment qu’on a, en effet, à la lecture de Pascal : quelqu’un qui a découvert qu’il était seul à n’être pas perdu et entreprend de l’écrire. Et c’est l’effet que fait la lecture de Pascal : soudain, grande clarté, mais pourquoi tout est-il encore si sombre tout autour de moi ? Être l’île où tenir bon. Il le faut. L’état des papiers qui constituent ce qu’on a pris l’habitude d’appeler « les Pensées de Pascal », n’est-il pas le résultat de l’entreprise même : quand on se lance dans un combat contre le monde, voilà ce qu’on obtient ? C’est ce que je me dis, tout en songeant que ces lambeaux de papier, ces ruines ont plus de grandeur, plus de beauté, plus de profondeur que les édifices qui semblent ne jamais vaciller sur leurs fondations. Illusion du pouvoir. Nulle trace de vérité. À Daphné, sur le chemin du retour de la Schola, je dis de rester comme elle est, parce que son naturel est bon. Elle me répond qu’elle a surtout de bons parents (ce que je crois), mais je lui dis que cela ne suffit pas, que cela n’explique pas tout. Il y a quelque chose d’autre, qui est là ou qui ne l’est pas. Je venais de voir le visage méprisant d’une camarade avec qui elle prend des cours de danse (maman fut une députée macroniste absente, papa est parti avec la start-up nation), un visage où il n’y avait nulle trace de bonté, rien que de mépris, un visage qui était déjà vieilli malgré le jeune âge officiel, un visage déjà flétri, laid. Daphné lui avait dit bonjour sur le ton enjoué qui est le sien. Et c’est à ce moment-là que, après avoir dit quelques mots de la fausse importance que donne à certains la naissance, j’ai dit à Daphné de ne pas changer. Et bien sûr, elle changera, mais ce n’était pas ce que je lui disais, je lui disais de garder ce cœur bon qu’elle a et qui, j’en suis convaincu, ne s’acquiert pas, est étranger à toute considération sociale ; on l’a ou on ne l’a pas. Quant à moi, je commence une nécessaire cure d’austérité.