Tarte aux poires. — Ou telle est, du moins, ma réponse à la question : Pourquoi faut-il que la vie sociale soit indécrottablement bête ? Et pourquoi sommes-nous encore contraint de la vivre, comme elle est, cette vie, sans espoir de n’y jamais pouvoir rien changer ? Cependant que je cuisine, je ne parviens pas à me dispenser de faire des phrases, — cruelle punition que m’inflige mon esprit pour châtier mon péché de penser. Ainsi, je ressasse sans possibilité de rédemption les idées noires que m’inspirent les relations imbéciles qu’il nous faut entretenir avec les autres, bien que nous n’en ayons pas le désir, simplement parce qu’ils existent, et semblent avoir quelque prétention à cette existence (souviens-toi de la chose qui persévère dans l’être de Spinoza : comme elle, ils ne voient rien, ils ne voient pas le rien) et, afin d’éviter que la tarte ne tienne de mon amertume, j’ajoute une deuxième dose de sucre vanillé. À un moment de ma rumination, toujours épluchant mes jaunes poires Guyot, j’envisageai l’éventualité que ce soit à moi de faire un effort, mais sur l’instant m’objectai : Pourquoi n’est-ce pas aux autres de faire plus ? Moi, après tout, c’est vrai, je ne leur demande rien. Et, songeant à la prétendue figure d’autorité qui, après m’avoir banni naguère, feignit d’ouvrir les bras en signe de volonté d’apaisement, je veux déclarer : Regarde-moi, je n’ai que faire de ta clémence, mes mains sont vides, je n’ai rien pour toi, je n’ai pas besoin de toi, je ne veux rien de toi, n’attends rien que la disparition et, enfin, la fin. Est-ce que Daphné tient de moi ? Sans doute, oui, autant qu’une fille tienne de son père, en tout cas, mais elle a compris bien plus jeune que moi, qui n’ai jamais été particulièrement précoce — je m’en rends compte, aujourd’hui encore, quand il me semble que je n’avance pas, mais m’encroûte —, que la bêtise est une singulière humiliation dont les autres s’accommodent trop facilement. C’est vrai que je n’ai pas d’espoir public, mais ce n’est pas l’effet de je ne sais quelle misanthropie, mais le son que rendent mes lamentations : au lieu de démocratiser la culture, d’humilier la grandeur, d’abaisser le chef-d’œuvre pour le mettre à la portée de tout le monde, qui dès lors ne saurait plus qu’en faire, il fallait le donner à tout le monde comme une chance offerte d’une vie meilleure, et dire : Vois comme c’est immense, n’est-ce pas la preuve ultime que la vie vaut la peine d’être vécue ? Car, qui peut bien vouloir aimer la vie quand vivre, c’est patauger dans la plus basse et commune fange ? En classe de découverte, triomphe de la démocratie et apothéose de l’enseignement public, l’enfant aura découvert ce que c’est que twerker. Qui pourra retenir ses larmes ne rira plus jamais.