Angoisse cette nuit. Au moment du coucher et plus tard encore quand il me semble que je m’éveille avec le même sentiment que celui sur lequel je m’étais endormi, puis m’endors de nouveau. Avant, décision et résolution — toujours la même — dont je ne doute pas sur l’instant, mais ensuite, comme en ce moment, cependant que j’écris. Dans la matinée, marché dans Paris avec la même angoisse que durant la nuit, le même sentiment qui ne me quitte pas. Évidemment irrationnelle mais c’est ce qui la rend d’autant plus tenace : aucune raison ne peut la vaincre, la raison n’est rien devant elle. Sens inverse que d’habitude, je descends le boulevard jusqu’aux Invalides. D’abord, assez seul et puis très vite, nuées de touristes américains à vélo. Sentiment d’imbécilité qui me semble presque étranger (l’angoisse avale tout). Sur les quais de scène, un vacarme insensé — batukada hors de rythme et fanfare qui sonne faux — accompagne une course à pied sponsorisée par une marque de pneus de voiture. Rues bouclées, des gens qui paraissent aller dans tous les sens sans aucun ordre ni la moindre logique alors que tout, pourtant, est organisé. Est-ce un sens supérieur ? Ensuite, traverse la Seine par le Pont des Arts, puis marche sur les bords jusqu’à la Gare d’Austerlitz, oublie de quitter les voies sur berges au bon embranchement pour rejoindre la bassin de l’Arsenal. Parfait temps d’automne. Par le Jardin des Plantes jusqu’à la rue de Vaugirard. De retour à la maison, simplement heureux de voir Nelly. Mon angoisse a-t-elle disparu ? Je l’ignore. Essayant de lire, le sentiment de l’insignifiance de toutes choses — je devrais dire plutôt que « sentiment », la certitude, mais je me méfie, doute même du doute — m’empêche de continuer comme si, sur toutes les pages, à la place des mots qui s’y trouvent écrits, je ne pouvais lire que cette question : À quoi bon ? Mais cela — je me le demande, je n’ai pas la réponse —, décision et résolution ne doivent-elles pas y remédier ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je suis inapte à la vie sociale. Que vais-je devenir ? Si je sais que j’ai rêvé cette nuit, j’ai oublié exactement quels furent mes rêves, mais je me souviens de m’être couché en pensant que j’avais quarante-sept ans, que c’était trop vieux, que je devrais déjà être mort, et j’ai demandé à Dieu de prendre ma vie, mais même lui, semble-t-il, n’en veut pas. Avant de dormir, regardé Sicario, image d’une société mondiale fascinée par la violence, qui l’obsède et dont elle est malade, les morts violentes se multipliant comme des rapports sexuels à l’écran. En marchant, j’ai pensé : en vérité, c’est le même film qu’Iris et les hommes, malgré des sujets qui paraissent en tout point différents, les films disent exactement la même chose, et toute la culture dans chacune de ses manifestations fait exactement la même chose : renforcer la conformité sociale, inciter à la normalité dont elle vante les mérites. Le meurtre et le coït sont les deux formes de la vie humaine. Hier, Daphné s’est plainte que, durant son séjour en classe de découverte, elle n’avait pas pu penser.