Quelle fatigue, toujours recommencer. Comme un chaos dans un système hyperdéterministe, la moindre perturbation locale induit la perturbation de l’ensemble, et l’on ne s’y retrouve plus, ne sait plus quoi faire, comment mettre les idées en place. En place pour quoi ? [Silence.] Lourdes paupières, depuis tout à l’heure, je les sens qui tendent à se clore sur mes yeux fatigués. Pourtant, à la vérité je dois le dire, je n’ai pas fait grand-chose aujourd’hui, un peu lu, mais c’est tout. Et le chemin que j’avais entrepris de suivre, même sans savoir où il pourrait bien me conduire, il y a quelques semaines, je l’ai perdu de vue. Pour ce perdre, il ne m’aura fallu que quelques jours, même pas : quelques heures, à peine. Perdu, je n’en suis pas convaincu, simplement retarder, à recommencer. Recommencer, toujours, quelle fatigue. C’est désespérant, je trouve. Mais ce n’est peut-être que moi, qui manque de détermination, de volonté, et doit toujours reprendre de là où j’étais parti, ou de rien, de zéro. Peut-être, — en fait, je le dis sans grande conviction, il est vrai que je suis fatigué. J’ai pris une note dans mon carnet tout à l’heure, et la relisant à l’instant, je ne l’ai pas comprise, ou en tout cas, elle m’a paru imbécile. J’ai envisagé de la gommer ou de la raturer, mais je ne l’ai pas fait, je l’ai laissée telle quelle, me disant que c’était peut-être à présent que je la relisais que quelque chose m’échappait et que je comprendrais plus tard. Il n’est pas tout à fait absurde de penser que les notes que nous consignons dans nos carnets ne sont pas là pour nous aider à nous ressouvenir plus tard de ce que nous avions pensé au moment où nous les avions écrites, mais pour nous plonger dans une grande perplexité, afin que nous ne nous sachions plus où nous sommes, plus où nous en sommes, et que, ne comprenant pas ce que nous avions voulu dire, nous soyons ainsi contraints de faire un effort particulier, effort que nous n’aurions pas fait sans la note. Les notes ne sont pas des souvenirs (des « pense-bêtes », comme on dit), mais d’inventifs oublis. Je passe mes index sur mes paupières closes dans l’espoir inapte de les ouvrir, me caresse le front de la main, et quoi ? Dormir.