Courir sous la pluie et écrire, je ne dirai pas que c’est la même chose, je dirai au contraire que l’un et l’autre n’ont strictement rien à voir. Et pourtant, il y avait une certaine continuité entre les deux, aujourd’hui, sans doute au sens de l’épreuve, patauger dans les flaques et se sentir de plus en plus mouillé par la pluie qui tombait, ne faiblissant que fort peu par moments, et la lecture à haute voix de ce texte que je suis en train d’écrire, les ajouts dans les marges, les ratures, les corrections, et les feuilles de papier découpées aux ciseaux collées dans les marges pour les additions trop longues pour tenir sur la page. D’habitude, c’est vrai que, tout se passant uniquement sur l’ordinateur, on ne voit pas la trace de ces changements, mais il y a quelque chose de plus vivant à écrire à la main dans les marges, entre les lignes, dans des bandes ajoutées pour prolonger la page au-delà d’elle-même, une matérialité qui rend sensible le texte, au moins pour moi, qui me permet d’avoir conscience de l’effort, du temps, de ce que cela demande, l’écriture, et de la patience dont il faut faire preuve pour répondre à ce que l’écriture exige de qui écrit. Épaisseur des feuilles qui n’est pas étrangère à l’épaisseur du texte, du temps qu’il faut pour l’écrire, certes, mais aussi de la durée dans le cours de laquelle il s’inscrit, certains éléments avec lesquels je tisse le texte datant de plus de dix ans (rêve consigné dans le carnet des rêves), cela pour la biographie, et ceci pour l’histoire, dans le temps bien plus long des millénaires que l’écriture traverse et au-delà de la vie encore, dans le passage à la mort. Quand je les ai lues à haute voix, ce matin, avant d’aller courir, ces pages que je devais relire par la suite après être allé courir, je n’ai pas de raisons de le cacher, je les ai trouvées géniales, je l’ai dit mot à mot à haute voix pour moi-même, et ce n’était pas seulement pour m’encourager, comme quand on se dit, cependant que l’on court et que l’on se sent faiblir, vas-y continue, c’est bien ce que tu fais, ce matin, j’étais tellement trempé que je n’en ai même pas eu le temps, tout juste de soulever les pieds pour ne pas m’embourber, c’était parce que je le pensais vraiment, parce qu’il y avait tout ce que je voulais y mettre, et autre chose aussi, un rythme, une allure, un phrasé, une cadence. Ensuite, bien sûr, les choses se sont compliquées, c’est toujours pareil, il ne faut pas se laisser prendre au piège de la première impression, il faut continuer, se saisir de la matière, d’où tous ces ajouts, toutes ces ratures, toutes ces additions, et je crois que l’ensemble, le texte imprimé, avec ses hésitations, ses transformations en cours d’écriture, plus les modifications manuscrites apportées, forme quelque chose de particulier, qui ne doit pas tout à fait disparaître, et c’est pourquoi j’ai écrit à la main et non pas à l’ordinateur, quand même il serait amené à s’effacer dans une version destinée à être éventuellement par d’autres que moi.