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Soudain, je dors. Je suis passé de la veille au sommeil sans m’en apercevoir, sans coupure aucune. Je continue de lire mon livre. Mais, ces phrases qu’une voix me murmure, d’où viennent-elles à présent que mes yeux sont clos qui ne voient plus. Et que me disent-elles. De quoi me parlent-elles ? Chaque fois que j’essaie de tendre une oreille avec laquelle je les puisse entendre, afin de déchiffrer leur message, d’en comprendre le sens, je me réveille. Alors, les yeux de nouveau ouverts, je reprends le cours de mon ancienne lecture. Et, très vite, m’endors de nouveau. Mais les phrases, elles, les phrases ne s’arrêtent pas, elles continuent, passent de la veille au sommeil, du sommeil à la veille, de la veille au sommeil, certaines, je sais d’où elles viennent, mais d’autres, je l’ignore. Est-ce moi qui les imagine pour, continuant une lecture devenue impossible, passer doucement, passer discrètement, passer insensiblement de la veille au sommeil ? Mais pourquoi ? Et puis, ce n’est pas vrai, quand je m’endors, je sais que je dors, je sais que les phrases que je suis en train de lire, ce ne peut plus être du livre qu’elles proviennent, il est toujours ouvert, le livre, mais mes yeux, eux, mes yeux ne le sont plus. « Je sais que je dors », ai-je dit à l’instant, mais cela aussi, n’est-ce pas une ruse du sommeil ? Où suis-je quand je dors ? Que fais-je quand je dors ? Qui suis-je quand je dors ? « Je n’ai pas bougé, je dors,  je suis demeuré moi-même. » Tristes réponses, certes, qui n’approchent en rien la merveille des phénomènes. Moi qui dors, je le sais, malgré ce que l’on veut bien m’en dire, éveillé. À présent que j’écris, la nuit est tombée. Ce matin, quand je suis sorti pour marcher dans Paris, la tour avait la tête qui se perdait dans les nuages. Un voile gris nous enveloppait, elle et moi. Des larmes ont coulé de mon œil gauche. Mais elles ne m’ont pas arrêté. J’ai continué de marcher. Au Jardin des Plantes, il y avait des animaux étranges, mais ils ne l’étaient pas autant que les humains qui allaient et venaient. C’était comme un rêve, mais inintéressant, et assez laid. À un moment de ce rêve désagréable, un homme en tenue de sports entouré de femmes et d’hommes en tenue de sport s’est mis à crier des consignes incompréhensibles aux femmes et aux hommes qui l’entouraient et, ensuite, les femmes et les hommes qui entouraient l’homme se sont mises à aller et venir en faisant des mouvements autour de l’homme qui continuait de crier. Je me suis dit qu’il valait mieux que je m’éloigne, que peut-être l’homme allait me prendre pour l’un de ses femmes et de ses hommes qui l’entouraient (après tout, ne portais-je pas des chaussures de sport ?) et se mettre à me crier dessus. Alors, j’ai bifurqué sur la droite, empruntant un autre sentier dans le jardin. C’est là que j’ai vu ces animaux étranges, bleus surtout, comme sortis de la lointaine mer, et suspendus là, un peu au-dessus de nos têtes, dans l’air gris sous le ciel de Paris. La nuit, disaient des voix autour de moi, ils s’illuminent, et c’est très beau. À présent qu’il fait nuit, j’y pense. Mais je n’ai pas envie de les revoir, ces animaux étranges, non. Je n’ai qu’une envie : sortir de ce rêve hurleur et criard, et rouvrir le livre de mes songes.