25.12.24

Des racines sans arbres, des arbres sans branches et des branches sans fruits, voilà, en quelques mots, l’Europe. Ou, si je veux être moins sévère, la France, du moins. Le suis-je ? Quoi ? Français ? Mais non, sévère. L’un comme l’autre, je ne le sais. Je parle. C’est tout. Et c’est déjà beaucoup. À quel sol que rien n’irrigue plus et qui n’alimente plus nulle ramification s’imagine-t-on puiser ? Et qu’est-ce que cette identité, cette prétendue essentialité, qui se manifeste une fois l’an ? Dans le meilleur des cas, encore. Corps sans tronc, tronc qui sonne creux, hors le vide, où notre organisation (pays, peuple, nation) irait-elle se loger ? C’est peut-être une vérité trop difficile à entendre, parce qu’elle vaut pour tout le monde, mais certes pas à dire, que celle-ci : il n’y a pas de fondations pour nos humaines croyances, pas de fondements pour nos dogmes imaginaires, tout cela, à la vérité, tout cela flotte dans l’air, c’est périlleux, comme la nuit, dirait John Cage, mais n’est-ce pas aussi notre chance ? Mes racines, ai-je écrit quelque part, et peut-être l’ai-je aussi écrit ici, je ne sais plus, mais cela ne fait rien, voici le plus important : mes racines ne poussent pas en arrière, elles ne me retiennent pas, ne m’étranglent pas, elles poussent devant moi, toujours plus loin, toujours plus loin de moi, et, loin de me ramener à ce que je suis, elles dessinent ce que je puis être, ce que je ne suis pas, ce que je pourrais être, tout et n’importe quoi, elles sont non pas la forme unique (il n’y a de racines qu’au pluriel), mais les formes multiples du devenir, dont il n’est même pas certain qu’elles se ramènent, puissent être reconduites à quelque origine unique, car, quand on regarde le dessin d’un peu plus loin, pas d’un point de vue unique et total,  non, celui-là n’existe pas, d’un peu plus loin, c’est tout, et c’est déjà beaucoup, on voit bien qu’on ne voit rien, j’entends : rien ne ressemble plus à l’arrière que l’avant, hier que demain, et n’est-ce pas merveilleux, n’est-ce pas la plus belle de nos chances ? Les ruins in reverse de Robert Smithson, plutôt que de se lamenter, n’est-ce pas ainsi que l’on peut les interpréter, pas comme des chutes, mais comme de potentielles croissances ? Ne sont-elles pas là, nos réelles fondations, n’ont-elles pas en vérité la forme de ruines, ne sont-ce pas toujours des ruines ? Et dès lors, rien ne nous retient, tout nous incite, pousse, pousse, petite fleur, regarde, le ciel est bleu, le soleil brille.