En bas, l’histoire ; ici, l’oubli. Me suis-je dit dans les forêts du Vaucluse. Pourtant, quelques kilomètres à peine séparaient les vestiges romains des altitudes provençales, mais ils me semblaient immenses, longs comme une infranchissable distance. Mais pourquoi opposé-je l’histoire à l’oubli ? André Breton, dit-on, prétendait ne pouvoir vivre qu’à Paris parce que c’était là que l’histoire se faisait. Et c’est à cela, peut-être, que j’ai besoin d’échapper : l’étouffante histoire. En quelques kilomètres à peine, ici, on peut tout oublier, et se retrouver seul en compagnie de ses idées, ses angoisses, ses étrangetés, ma peur panique de me trouver nez à nez avec un sanglier et de devoir me réfugier dans un arbre afin de lui échapper (souvenir, j’imagine, d’une déconvenue que tel de mes ancêtres bergers dans les montagnes corses aura connue). En fait d’animal, je n’aurais croisé qu’une chienne avec sa maîtresse, quelques paroles échangées par politesse, puis, j’ai continué d’avancer. Et moi, et mes pensées. Au fond du ciel, montagnes blanches de leurs neiges encore à peu près éternelles. Et mes pieds dans la pierre, et mes pieds dans la terre. Tout est sédiments, superpositions dont on peinerait à retrouver l’origine : cultes dessus histoires, histoires dessus oublis, oublis dessus espaces. Des épiphanies éphémères. Cette nuit, j’ai rêvé de C. Il portait une tenue grise. Et, pour autant que je m’en souvienne, le rêve était d’un ennui mortel. Je ne sais pas si c’est l’impression que j’ai eue en le rêvant, mais à présent que j’y pense, il me semble que j’avais hâte de me réveiller. Son crâne glabre et ses phrases aussi pompeuses que creuses le rendaient ridicule. Il parlait, nous marchions. À la fin du rêve, il me quittait pour aller au cinéma. Il y a tant d’histoires qui se font pour rien. Mieux vaut se perdre dans le bleu du ciel.