7.1.25

Perfection, sentiment de la. Quand un rayon de soleil est venu réchauffer la table où je prenais mon déjeuner. Là, dans cette chaleur éphémère, j’ai bu mon bol de soupe, les yeux fermés. Et l’épaisseur de la porcelaine était semblable à celle de mes paupières, pas transparente, mais pas tout à fait opaque non plus. Le bol vide, quand mes yeux se sont ouverts au fond, j’ai vu la lumière qui passait à travers, filtrée, blanche, et quasi aveuglé par le spectacle clos de la lumière, quand j’ai posé le bol, tout le paysage circonscrit de la pièce où je me trouvais m’a paru aveuglé d’une intensité rare. Ai-je fermé les yeux pour sentir sur mon visage la chaleur de l’hiver ? Je ne sais pas. Mais je me souviens que, buvant mon bol de soupe aux légumes, j’ai eu la certitude que la chaleur du soleil était égale à celle du liquide que j’étais en train d’avaler et que, si j’avais été en train de boire le soleil, la sensation n’en eût peut-être pas été fondamentalement différente, pas essentiellement plus intense. Et que, encore une fois, tout était parfait. Je ne sais pas si tout est toujours parfait et que nous n’en prenons conscience qu’à des moments isolés dans le temps (la pensée serait l’archipel des perfections) ou si tout n’est parfait que par moments, mais quand le moment est tel, quelle différence cela peut-il bien faire ? Au menu : un bol de cette soupe aux légumes, des filets de maquereaux à l’huile d’olive, du pain, un pamplemousse rose. Est-ce là toute ta diète philosophique ? Et pourquoi pas ? Pendant que je débarrassais la table,  ensuite, rangeais les ustensiles de cuisine et les couverts dans le lave-vaisselle, essuyais la table où je venais de déjeuner, je me suis aperçu qu’il y avait longtemps que je ne m’étais pas senti ainsi, je ne sais pas comment, j’allais dire : « aussi bien », mais cela ne veut pas dire grand-chose, c’était une sorte de sensation totale, qui ne me concernait pas que moi, mais tout, et le monde et moi. Avant, j’étais allé courir une heure. Et tout semblait couler, à la faveur d’une nécessité que je pouvais percevoir dans le temps même où elle se déroulait. J’étais avec le monde et le monde était partout. « Perfection », est-ce le nom que je donnerais à cette sensation ? Non, mais au sentiment, car la sensation était accompagnée de sa claire conscience en sorte que la conscience n’accompagnait pas la sensation, l’une et l’autre n’étaient en fait qu’une seule et même réalité. J’étais là. Et tout, et le monde et moi, et l’ensemble des phénomènes qui se déroulaient partout où je me trouvais à ce moment-là, tout était parfait. À présent, je regarde de l’autre côté du boulevard : dans la pièce noire de l’appartement vide, l’écran émet une lumière blanche tirant sur le gris, pendant un moment, j’ai cru que des images bougeaient, mais non, c’était la branche nue de l’arbre dans la rue qui s’agitait au vent, intercalée entre l’écran et moi. La vision de cette veille perpétuelle, de cet allumage éternel m’angoisse. Du sublime au ridicule en si peu de temps. Tout est-il parfait, vraiment ?