Mais fragile perfection. Mal dormi. Les théories qui mettent à part le corps et l’esprit s’écroulent sous le poids de nos paupières après une mauvaise nuit de sommeil. Nous voudrions nous arracher à cette pesanteur, mais nous sommes entraînés par elle, tout au fond des choses. Et, en plus, il pleut. Faut-il donc que l’univers conspire toujours à nous nuire ? Ou est-ce que trop de perfection, comme une obésité de l’univers, serait une pathologie du cosmos ? L’imperfection — en l’occurrence, le manque de sommeil, la fatigue, la pluie, et la sensibilité excessive au temps qu’il fait qui découlent de la conjonction de ces facteurs (comment pourrait-on dire ? la météothymie ?) — serait le roulis continu, le plain ennui sur le fond duquel les vagues de la perfection rouleraient quand le temps et l’humeur le permettent, enfin. Je me frotte les yeux pour tâcher d’y voir clair. J’ai froid. Quand les sons résonnent dans l’oreille longtemps encore après qu’ils se sont tus, ou que les images rémanent sous nos paupières closes, que faut-il entendre ? Que la vie ne nous apporte jamais ce que nous attendons d’elle ? Tout comme j’ai hésité à poser la question, j’hésite à y répondre. Qui peut se flatter de savoir accueillir l’imprévisible ? Puisque, justement, l’imprévisible ne peut faire l’objet d’un savoir qu’après qu’il a été vu, c’est-à-dire quand il n’est plus ce qu’il était, imprévisible. Et n’est-ce pas que la plupart de nos prévisions semblent faites au passé, qui se fondent sur l’état des lieux antérieur ? Hier, dans un rayon de soleil, je louais l’harmonie cosmique et, aujourd’hui, sous la pluie, je pleure son absence. Pluie et larmes sont unes et les mêmes. Ce matin, par contraste liquide, sous la douche, j’ai rêvé que je me plongeais dans un bain si brûlant qu’il ne refroidirait pas et d’où je sortirais après des siècles de cette immersion lavé de toute ma faiblesse. Au lieu de cette mer éphémère, j’ai demeuré un peu trop longtemps sous l’afflux continu de la douche, rêvant à mon bain de délassement, ne cessant de me dire : « Il faut que je sorte maintenant » pour mieux rester, pareil à l’enfant qui, au matin chaud de la couverture, n’a nulle envie de sortir du lit. Hier, avec Daphné, juste avant de nous dire bonne nuit, nous avons parlé de la nécessité de garder son âme d’enfant. Et, en effet, sommes-nous tombés d’accord, elle et moi, cela ne doit pas être impossible. Ne suffit-il pas, en effet, de pouvoir toujours s’émerveiller ? Malgré le temps et l’humeur, je tiens la diète philosophique, jeûne à temps partiel et quête la légèreté.