Visage rouge d’avoir marché pendant deux heures et demi dans le froid après-midi de Paris la grise. Circa zéro degré. Une fois rentré à l’appartement, il me semble qu’il me brûle, ce que sa vision confirme dans le reflet du miroir de la salle de bain. La marche est le meilleur des poligraphes, qui enregistre au plus près les variations de la ville, les changements d’ambiance, les ruptures d’atmosphère, qui permet de visualiser les physionomies (des quartiers, des coins, des gens, autochtones, migrants, touristes), de distinguer les zones avec précision, l’hyperdensité du Marais, le quasi désert du bas du boulevard de Port-Royal, Bastille la festive, le commerçant boulevard Beaumarchais, lequel débouche sur une place de la République qui semble toujours en train de manifester pour quelque cause politique lointaine, comme si la République (pas la place, non, la chose), ce n’était qu’un lieu impersonnel où l’on vient à tour de rôle clamer quelque slogan, pas une chose commune, mais un grande vide qu’au nom d’une cause on privatise en se l’appropriant à l’exclusion des autres qui ne pensent pas comme les présents, et qu’il faut pour ce faire remplir de ses drapeaux, de ses cris, de la scansion d’une existence qui ne semble guère avoir de sens en elle-même, mais toujours d’abord pour la cause qui la vient fonder. C’est à cet endroit-là que j’ai bifurqué alors que je voulais traverser la place, remonter le canal Saint-Martin et pousser peut-être jusqu’au bassin de la Villette. J’ai eu tort, sans doute, de prendre ce virage à gauche (pourquoi n’ai-je pas pris, par exemple, la direction de Belleville, où il y a bien longtemps que je ne suis pas allé ?) tant la traversée du Marais, qui n’a peut-être jamais si bien porté son nom, infesté qu’il est de tous ces corps agglutinés et à la présence agitée et vrombissante, fut une épreuve désagréable au bout de laquelle la place devant la maison commune ne fut pas un soulagement, mais vint m’offrir le spectacle déconcertant d’une espèce de délabrement volontaire (toujours ces smithsonsiennes ruins in reverse). J’ai pressé encore un peu le pas et je suis descendu sur les berges de Seine pour reprendre ma route à rebours. La ville s’offre à tout le monde, même à qui ne connaît pas sa géographie. Et ainsi, même quand elle semble se fermer, elle s’ouvre. C’est la jeune femme qui, place de la Mairie, montrant du doigt la tour de Jussieu, s’exclame à l’adresse de qui l’accompagne : « Regarde, la tour Montparnasse ! » Devais-je la détromper ? Mais s’y rendre, est-ce une raison suffisante de ce faire ? Ne le croyant pas, j’ai continué mon chemin en silence. J’ai marché quinze kilomètres, ainsi, dans Paris la froide. En chemin, je crois, je m’attendais à connaître une sorte d’épiphanie, mais rien de tel ne s’est produit. J’ai avancé dans ma ville, un peu insensible à ses charmes, je le confesse, mais toujours attentif à son peuple.