19125

Le téléphone sonne à une heure inhabituelle, ce dimanche matin. Je décroche : « N. est mort. » Que puis-je dire ? « Je le savais déjà » ? La sonnerie, mieux que la parole, me l’aura appris. Un peu de décence : je ne le peux pas. Cela n’aurait eu aucun sens. Et, de fait, rien — ou presque — n’a de sens. À quoi sert d’écouter quand on sait déjà ce que l’on va entendre ? À quoi sert de parler quand tout est déjà dit ? Mais pas la messe. Il n’y en aura pas. Rien qu’une masse inerte qu’on incinérera, — comme d’habitude, désormais. C’est encombrant, un mort, on a hâte de s’en débarrasser. Corps caché par la paroi de contreplaqué derrière laquelle, au son d’une musique kitsch, on s’apprête à le faire disparaître. (Tout est caché.) Funérailles industrielles. Bienvenue chez les vieux. Four crématoire de la modernité. Me choque l’absence de ritualité. Je revois le crématorium impersonnel, à la périphérie d’une ville moyenne de province, dans une zone d’activité à toute autre pareille, entre Castorama et Carrefour. Bienvenue en France. Autant entasser leurs corps et brûler les humains comme des feuilles mortes, à ciel ouvert, non ? L’odeur, peut-être. À côté de cette mort sans rite, me semble encore plus doux le compostage humain, le recyclage du cadavre. Mais cela, non plus, ce n’est pas vrai, n’a aucun sens : depuis le centre des villes surpeuplées, des humains fantasment le cycle éternel de la vie. Depuis l’antinature, les humains fantasment la nature. Tout ce que je trouve à dire, ensuite, c’est à Nelly que je le confie : « Je ne veux pas mourir à l’hôpital. » Qu’on me laisse dépérir face à la mer, comme un algue qui dessèche, comme un oiseau qui s’est échoué, comme un vulgaire sac plastique, comme un déchet. Tout en ruminant ces mauvaises pensées, je songe à me convertir au catholicisme, non pas à cause d’une grâce qui m’aurait soudain touché, d’une foi dont j’aurais eu subitement la révélation, non, pour une question de ritualité, pour ne livrer pas ma dépouille à quelque veule bonimenteur laïc, dans l’indifférence de la banalité, une question de beauté : partir en fumée, effluves d’encens qui montent au ciel, possibilité d’autre chose que cette laideur institutionnalisée, cette fin sans finalité.