Ce matin, cependant que je courais en rond dans le jardin du Luxembourg, par cette froide matinée de janvier, je suis donc toujours vivant, pour qui cela intéresserait de le savoir, je me suis arrêté quelques instants devant le monument à la mémoire de Stendhal, et je l’ai pris en photographie, cela ne vaut peut-être pas grand-chose, mais c’était ma manière de prière à moi pour lui. Tant pis pour le chronomètre, ne me suis-je pas dit sur le moment, c’est en écrivant que je me dis que je pourrais intégrer cette remarque, fictive donc, en passant, pour faire un trait d’humour, ou quelque pirouette ironique, et je me voyais déjà en train d’ajouter que Stendhal nous aurait trouvés bien ridicules, nous autres, qui tournons en rond dans le jardin, pour perdre du poids, garder la ligne ou la santé, sculpter notre corps que rien d’extérieur à lui-même ne vient plus guère inquiéter, quand lui, malgré son physique de jeune fille de quatorze ans, marcha dans l’armée de Napoléon — ainsi passe la gloire des peuples —, mais je ne le ferai pas. Je me contenterai de raconter comment je me suis arrêté devant ce petit monument discret, comment je l’ai pris en photographie, et comment ce fut pour moi, aujourd’hui, date de l’anniversaire d’Henri Beyle, ma manière de penser à lui. Il a quelque chose d’étrange, ce petit monument, tout couvert de mousse, qui descend au marron, et qui tient sans doute à cette coulée vert de bronze qui tire sur la turquoise et dégouline le long des joues d’Arrigo pour imbiber la pierre. On peut avoir l’impression qu’il pleure, mais il faut avoir de l’imagination. Et on n’en a plus beaucoup, c’est à craindre, de l’imagination. N’importe. Quand je me suis arrêté devant le médaillon pour le prendre en photographie, j’ai été un peu déçu que personne n’ait eu l’idée de déposer quelques fleurs à son pied. J’eusse bien aimé le faire, mais quelles étaient ses préférées ? Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que les fleuristes parisiens vendent du mimosa fané au prix de l’or dont il n’aura jamais la couleur. Au dos du monument, là où se trouve la liste des œuvres considérées comme les plus célèbres à l’époque de son édification (1920) — De l’amour, Vie de Rossini, Promenades dans Rome, Le rouge et le noir, Mémoires d’un touriste, La chartreuse de Parme —, la pierre est criblée d’impacts de balle, traces des combats pour la libération de Paris, en 1944, que le temps ni l’oubli n’ont encore effacées. Je reprends ma route. Tout cela, je le dirai plus tard. En attendant, dix kilomètres m’attendent et une heure et quelque d’exercice. En avant.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.