J’ouvre des yeux tout ronds pour tâcher de comprendre quelque chose, mais c’est peine perdue. Je le sais. « Pourquoi ne suis-je pas de ce monde ? » pourrait être une bonne question si, effectivement, je venais d’ailleurs, mais la vérité est bien plus prosaïque que cette extraterritorialité rêvée : je suis d’ici, comme tout le monde, et le recours au sentiment (comme dans la phrase : « J’ai le sentiment de n’être pas de ce monde ») ne fournit aucune explication, il dilue simplement la réalité, la rend plus fluide, peut-être, ce n’est pas bien difficile, encore que ce ne soit pas certain, mais ne permet pas de la cerner, de la comprendre, d’en faire quelque chose. Faut-il en faire quelque chose ? Je ne sais pas. Peut-être faut-il ne rien faire du tout. Ne plus rien faire du tout. Après tout, en cette matière, au moins, nous avons des chances de réussir. Tandis qu’ailleurs, rien n’est moins sûr. J’en ai pris conscience tout à l’heure (j’étais en train d’envoyer un message à Nelly), mais mon ascèse — et la perspective de la prolonger au-delà du seul mois de janvier — ne me déplaît pas. C’est par anticipation de cette absence de déplaisir, probablement, que je l’ai appelée « diète philosophique » — c’est ce que je suppose a posteriori —, et pas seulement pour prendre une pose élégante, mais aussi parce que quelque chose y point qui n’est pas rien, n’est pas un point — pas final —, justement, ou alors pas un seul, mais deux points : une ouverture. Ce matin, j’ai couru dix kilomètres et demi. Il faisait gris, il pleuvait, le vent soufflait en rafales assez fortes, et je ne sais pas trop si j’étais heureux d’être là (c’eût été la moindre des choses, pourtant, personne ne me forçant à m’y trouver) ou si c’était simplement l’une des conditions d’exercice de ma diète philosophique : ne pas boire d’alcool, ingurgiter aussi peu de gras que possible, courir. J’ai envisagé qu’il soit trop tard (trop tard pour quoi ? trop tard pour moi), mais cela ne m’a pas paru être une raison suffisante de ne pas continuer. Je pourrais dire les choses comme ceci : Même s’il ne devait me rester qu’un seul jour à vivre, demain, c’est encore ce que je ferais, mais c’est un peu imbécile, le monde ne s’arrêtera pas avec moi, et l’extinction du soleil n’est pas pour demain. Alors quoi ? Alors, rien. Comme le dirait la poétesse wittgensteinienne, Antje Bertorello : C’est quelque chose que je fais.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.