Ma hantise, c’était qu’on entende le bruit des sirènes sur le boulevard pendant que je serais en train de parler dans mon téléphone pour l’entretien radiophonique. Mais les planètes, ou plutôt : les cadavres, les cadavres se sont alignés, donc, et il n’y a pas eu de drame, c’est-à-dire : point d’interférence tendant à nuire, sinon à la clarté du propos, du moins à la clairaudience dudit. Pourtant, les interférences, comme il en est question dans la Vie sociale et dans la vie en général (Est-ce que votre prochain roman s’appellera la Vie en général, Jérôme Orsoni ? Le journaliste ne m’a pas posé la question, mais la réponse est la même : Non, je ne crois pas.), il en a été question, mais je ne rêvais pas d’une illustration sonore trop envahissante, non. De quoi est-ce que je rêvais ? De rien. Je ne rêve de rien, en ce moment, ou alors je ne m’en souviens pas (il me semble que je répète toujours la même chose). Le dernier rêve dont je me souviens, c’est durant la nuit du 26 au 27 décembre 2024, à Vaison-la-Romaine, que je l’ai fait. J’avais noté ici que je l’avais noté sur l’application pour le noter, de retour à Paris, dans le carnet où il a sa place, et c’est ce que j’ai fait, mais depuis rien : pas de souvenir de rêve. Dommage. Au moment même où j’écris ces lignes, les excités du sifflet en uniforme de guidon passent à vive allure en bas de chez moi. La vie serait-elle bien faite, après tout ? Non, puisqu’ils passent quand même en bas de chez moi, mais pas trop mal, allez, cela, je veux bien te l’accorder. Où vont-ils ? Je ne me suis jamais posé vraiment la question, je crois que je m’en moque éperdument. Au diable, peut-être. Ce matin, modifiant mon itinéraire de course pour aller tourner dans le parc Montsouris, mes dix virgule cinq kilomètres furent un long et pénible calvaire : il pleuvait, il y avait du vent, il faisait froid, j’avais les pieds trempés et le corps de sueur, et je me suis exclamé un nombre non négligeable de fois à mon intention : « La con de ta mère la pute, ah ! », preuve que, vraiment, je n’étais pas le plus heureux des hommes. Et, ce malheur, dérisoire, au regard du mal universel qui accable mes pauvres semblables, qui plus est, je me l’infligeais à moi-même. Pourtant, j’ai connu une sorte d’épiphanie — provisoire —, je ne sais plus si c’était la première ou la deuxième fois que je gravissais la côte qui monte vers le boulevard Jourdan, en tout cas, pas la troisième, la troisième, je ne pensais qu’à arrêter de courir, et pourtant, il me restait encore quatre kilomètres et quelques à parcourir avant de rentrer enfin chez moi faire mes exercices de gainage, j’ai pensé, qu’est-ce que j’ai pensé, déjà ? ah oui, j’ai pensé : j’aime le monde, et si j’avais su m’exprimer comme un ancien philosophe, j’eusse dit quelque chose comme : j’aime le cosmos, φιλέω τὸν κόσμον, mais je ne suis qu’un pauvre écrivain français, aussi me suis-je contenté de le dire dans ma langue morte, et, encore une fois, noter dans l’application pour le noter dans le carnet où elle est destinée, une fois rentré à la maison. C’est après l’épiphanie que les choses se sont gâtées, et peut-être, en effet, venais-je d’atteindre sans possibilité de poursuivre l’ascension le sommet du haut duquel je ne pouvais donc plus que décliner, le sommet de la côte du parc Montsouris coïncidant sous la pluie avec le sommet de ma pensée métaphysique, je crois que c’était lors de la deuxième ascension, et j’ai continué de me traîner lamentablement parce qu’il fallait que j’aille au bout, au bout de la course, au bout de moi-même, au bout de n’importe quoi. Car, lentement, on monte du ridicule au sublime ; mais, bien plus vite, en effet, on en descend.

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