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Pas trop d’idées, étais-je en train de me dire quand une sirène déchira soudain le silence relatif de cette fin de semaine. Je m’interroge à propos de la passion du bruit, délirante, qui anime notre époque, mais ne trouve pas de réponse à mes questions, c’est un pur étonnement, c’est tout, comme quand on dit : Mais comment les gens font-ils pour vivre ainsi ? Et toi, n’es-tu pas aussi les gens ? Oh, si peu, si peu. La preuve : hier, par désœuvrement, j’ai demandé à une intelligence artificielle censée analyser les photographies des gens, dévoiler des informations privées les concernant et leur proposer des produits correspondants, theyseeyourphotopointcom, je crois que cela s’appelait, de faire le portrait marketing de la photographie de John Cage qui me sert de fond d’écran, celle où on le voit, accroupi derrière une glissière de sécurité, un couteau à la main, occupé avec un champignon, eh bien, non seulement l’intelligence artificielle n’a pas reconnu John Cage (ce qui est pourtant l’information principale de l’image), mais elle suggérait en outre de lui proposer une publicité pour un casque audio à réduction de bruit, ce qui est absurde, parfaitement absurde. Qu’est-ce que j’en ai déduit ? Oh, pas grand-chose, à vrai dire sinon qu’on fantasme sans doute beaucoup sur les pouvoirs de l’intelligence artificielle, dont la puissance serait si irrésistible qu’elle aurait déjà révolutionné toute notre existence. J’ai sans doute tort, mais je n’y crois pas un seul instant : le progrès me semble être devenu négatif, n’être plus qu’une immense usine à fabriquer de l’argent le plus bêtement possible, et ne profiter à personne, même pas à l’infime minorité qui s’enrichit, parce que, si elle s’enrichit financièrement, elle n’a rien d’intelligent, elle s’abêtit, abêtit l’espèce humaine, et donc s’appauvrit. Qui le progrès fait-il encore rêver ? Je sais que mes remarques sont des remarques de pauvre, mais je préfère de loin ma pauvreté à cette prétendue richesse, et c’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je suis pauvre, parce que je n’aime pas l’argent, parce que je trouve que l’argent est vulgaire, parce que je trouve que l’argent est laid. En cela, je suis exactement comme maman, qui haïssait l’argent, et tout ce qu’il représente, et qui n’aimait pas les gens qui avaient de l’argent. En cela, je ne suis pas tout à fait comme maman, moi, les gens qui ont de l’argent, je m’en moque (même si c’est autour de leur exclusive vie que semble tourner l’univers, leur existence m’est indifférente, ils pourraient disparaître, tous, et d’un coup, cela ne me ferait rien, ils ne me manqueraient pas le moins du monde), et à la vérité, même, je les plains : être laid et vulgaire, ce ne doit pas être facile facile tous les jours.