Îles en Méditerranée. L’horreur est partout, dans l’exploitation des corps (cadavres compris) comme dans la destruction des consciences (rarement vu autant de laideur au mètre carré que dans une file d’attente), et contre cela, le sentiment de l’île, le sentiment que procure l’île (son idée, mais pas uniquement elle : la présence sur son sol même), la fascination que suscite le concept d’une étendue (minuscule, surtout) entourée de mer, la perspective de l’isolation qu’elle inspire, par suite, ne sont que les pierres bancales d’un maigre rempart. Mais nécessaire. Que ce dont nous disposons pour continuer d’exister malgré tout soit fragile, n’est-ce pas l’évidence ? Et cela ne s’impose-t-il pas comme une nécessité ? Qu’est-ce qui, sinon le faible, le fragile, le passager, le subtil, permet de lutter contre la machine de guerre de l’humanité ? Toutes ces qualités (faiblesse, fragilité, passagère, subtilité, et caetera) ne sont pas choisies, elles sont subies, elles s’imposent pas défaut : tout ce qu’il nous reste, c’est ce précaire canot qui vogue sur une mer déchaînée, risque sans cesse de venir se fracasser contre l’écueil du pouvoir, l’écueil de l’impuissance. (Le pouvoir nous rend impuissants.) Les perspectives de carte postale qui s’offrent à moi, je ne leur résiste pas, parce qu’il ne le faut pas, il faut que je m’abandonne au sublime, me dis-je, c’est peut-être l’unique façon de surmonter le kitsch — tout en ayant conscience que tout est kitsch, trouver la force encore de s’abandonner au sublime. Sans même en avoir réellement le désir, je les accepte, elles sont là, sous le ciel gris de brume de la Méditerranée, paysages calcaires au milieu de la mer, gestes du pécheur qui déroule son filet, ancestraux comme ceux de l’enfant qui joue dans l’eau, froide mais si bonne. Cet été, il sera trop tard, de toute façon, tout aura été envahi, et la vérité, c’est qu’il y a déjà trop de monde. Et, moi aussi, ne suis-je pas en trop ? Combien serait-il le nombre juste ? 3 ? 1 ? 0 ? Chaque jour qu’il m’est donné de vivre, j’apprends à compter sur mes doigts.

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