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Peut-être que je n’ai pas le courage ou l’inconscience d’avoir quelque chose à dire. « Est-ce que c’est mieux que rien ? » est une question glissante pour tenter de s’auto-évaluer. Pourquoi ? Eh bien, parce que si toi, tu ne parles pas (et par « toi », en l’occurence, c’est de moi que je parle, mais c’est une façon de parler), n’écris pas, quelqu’un d’autre que toi n’aura pas les mêmes scrupules que toi. Et par « quelqu’un d’autre », j’entends : des milliards de personne, ce qui n’est pas exactement rien, et fait ainsi glisser la question. En effet, si c’était ou bien toi, ta parole, ou bien le silence absolu, le néant, et pas de tertium quid, la question auto-évaluatrice : « Est-ce que c’est mieux que rien ? » aurait quelque pertinence à être posée. Or, ce n’est pas le cas : si toi, tu te tais (et toujours toi = moi), les autres (= des milliards de personnes) ne le font pas. Souvent, j’ai le sentiment qu’il faut que je parle parce que, si je ne le fais pas, je laisse la parole à d’autres dont les intentions sont moins louables que les miennes (regarde les puissants de ce monde, regarde comme ils sont laids, qui cachent leur difformité, leur perte, leur manque derrière des artifices trop visibles et inefficaces en réalité — ils trompent, mais ils ne sauvent pas). Et c’est vrai. Mais je ne sais pas si c’est toujours suffisant. J’ai commencé par écrire : « J’imagine qu’il doit y avoir quelque chose de jouissif à se passer de la parole, de l’écriture, à passer par d’autre connexion que les mots dans les phrases dans les paragraphes dans les pages dans et caetera, passer d’images en images sans les commenter » et puis, pensant à cette une de magazine où je ne sais plus qui prophétisait la fin de l’écriture, je me suis ravisé, me faisant remarquer que c’était exactement ce que notre époque faisait, passer d’image en image sans les commenter (commenter au sens d’une herméneutique qui les interprète, permette de les comprendre et de ne pas en être la chose), de plus en plus d’images par seconde pendant de plus en plus de secondes (cela ne s’arrête en vérité jamais) dans le flux desquelles on ne voit rien, ne comprend rien, ne sent rien. Comment le pourrait-on ? Ces images sont précisément faites pour cela : que nous ne voyions rien, que nous ne comprenions rien, que nous ne sentions rien, et qu’in fine nous ne voyions plus ce que nous voyons, ne comprenions plus ce que nous comprenons, ne sentions plus ce que nous sentons, que nous ne soyons plus des être sentants, mais des êtres sentis (dont le senti est senti d’un autre, le sentiment, le sentiment d’un autre, et caetera). Et moi, je veux sentir ce que je sens. Et moi, je veux vivre ce que je vis.