Stanley Cavell, The Claim of Reason, page 74 : « For example, if you are walking through Times Square with a child and she looks up to you, puzzled, and asks “Where is Manhattan?”, you may feel you ought to be able to point to something, and yet at the same time feel there is nothing to point to; and so fling out your arms and look around vaguely and say “All of this is Manhattan”, and sense that your answer hasn’t been a very satisfactory one. Is, then, Manhattan hard to point to? But if you were approaching La Guardia Airport on a night flight from Boston, then just as the plane banked for its approach, you could poke your finger against the window and, your interest focussed on the dense scattering of lights, say “There’s Manhattan”; so could you point to Manhattan on a map. Are such instances not really instances of pointing to Manhattan? Are they hard to accomplish? Perhaps we could say: It feels hard to do (it is, then and there, impossible to do) when the concept of the thing pointed to is in doubt, or unpossessed, or repressed. » Encore une fois, commençant un nouveau carnet, ce sentiment que c’est ce qu’il y a de plus vrai, la façon d’écrire la plus vraie. Mais plus vraie que quoi ? Plus vraie en soi, cela ne veut pas dire grand-chose, si ? Ce que je voudrais dire, c’est avec un adjectif comme « authentique » que je voudrais y atteindre, un adjectif dont je sais bien qu’il est suspect. Comme tout est suspect, sans exception. Donc, que dire ? Comment dire ? Dire quoi ? Dire pour quoi ? Si tout est suspect — et même le silence est suspect —, on voit bien dans quelle impasse on se trouve, une voie sans issue qui n’est pas même une voie parce que nous n’y sommes même pas entrés par quelque part, nous nous sommes simplement trouvés (retrouvés ?) là un jour et que, malgré cette absence d’issue (alors que nous pouvions penser que c’était l’excès d’issues, le désert en quelque sorte, qui nous conduirait à cela), nous sommes perdus. C’est à quelque chose de cet ordre, je crois, que je suis parvenu, aujourd’hui, dans mon carnet : il est impossible de dire quoi que ce soit et, pourtant, il est nécessaire de dire quelque chose. Et, peut-être, comprend-on que c’est moins une question de quoi que de comment : on cherche quelque chose qui, hors de notre langage, correspond à ce qui se trouve dans notre langage et le rend vrai, alors qu’il n’y a rien de tel, non parce qu’il n’y a rien hors de notre langage, mais parce que ce n’est pas ainsi que le langage fonctionne, il ne crible pas le réel des flèches de la référence. Et c’est difficile à l’extrême parce que notre langage est lourd de cette tentation, qui semble peser sur lui en toutes ses parties, et que nous voulons tout de même parler, mais comment parler un langage qui semble à ce point dysfonctionner et comment parler tout simplement en l’absence de tout langage de rechange ? Est-ce une écriture spécifique qu’écrire dans un carnet ? Eh bien, oui, et je ne sais pas très bien à quoi cela tient : au support même, à ce que l’on investit dans le support, aux traditions et aux mythes qui auréolent ce support, et en vérité, je sais très bien à quoi cela tient : cela tient à tout cela à la fois. Alors, c’est une illusion. Un sentiment peut-il être une illusion ? Un sentiment est un sentiment ; une illusion est une illusion. Et nous voilà bien avancés. Ce que je veux dire (peut-être) : dans les pages du carnet, s’ouvre une dimension quasi onirique, laquelle échappe à toutes les contraintes qui pèsent sur l’écriture publique (la publication, la diffusion, la réception, l’acceptation, etc.) et qui, cependant, n’est pas absolument privée, secrète, comme quelque chose qu’on tairait, qu’on ne se dirait qu’à soi-même, pour que surtout personne ne l’entende, dans le dialogue intérieur de l’âme avec elle-même. C’est écrit, mais ce n’est ni ouvert ni fermé, c’est autre chose, un autre état, une autre dimension de l’écriture et de la vie même. C’est comme si c’était codé sans être codé ; je ne sais pas si tu comprends. On pourrait corser la chose en écrivant les phrases dans un langage codé — et, en effet, il y a des choses qu’on a envie d’écrire sans que personne ne les comprenne jamais, et c’est pour cela, même, que l’on ne les écrit pas, parce que tous les codes finissent par être décryptés —, mais cela ne changerait pas fondamentalement la donne. C’est comme ceci et c’est comme cela, et c’est ce que j’appelle « être dans une autre dimension », je crois. Codé sans code, ni ouvert ni fermé, ni privé ni public, etc. : un tiers état des choses.

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