J’ai chaud & j’ai froid & je ressemble à un poisson hors de l’eau chaque fois que je respire, c’est-à-dire tout de même la plupart du temps. Je ne me vois pas la bouche ouverte, mais je me sens, de l’intérieur, si je puis expirer ainsi, et cette sensation me semble peut-être plus désagréable encore que la vision ne le serait. Mais je ne sais pas, bien sûr, je ne peux pas comparer. Alors je passe la journée à regarder la télévision, seule activité qui se trouve à peu près à mon niveau intellectuel, où l’on parle de gens connus à qui il arrive des choses affreuses ou de gens qui le sont devenus parce qu’il leur est arrivé des choses affreuses, pas les mêmes choses affreuses, d’autres choses affreuses, et coupable ou innocent, guerre nucléaire ou pas, immigration ou pas, je suis pour et je suis contre, tour à tour, et sans arrière-pensée, me conformant avec une rigueur épuisée à l’opinion de quiconque s’est exprimé en dernier. Je ne sais plus à quel moment de la journée, je me suis souvenu de cette époque, pas si lointaine que cela, où l’on devait gagner la guerre dans laquelle on n’était pas entré tout en y étant entré avec un pull en laine. Tout ce que je sais, c’est que, devant ce spectacle offert sur mon écran, j’ai ressenti un profond sentiment d’affaissement, d’avachissement, d’immensurable bêtise générale, comme si des peuples entiers s’enfonçaient dans la bassesse jusqu’à la dernière profondeur, et que cela m’a encore plus fatigué que je ne l’étais déjà. Hier, déjà, je m’étais dit en pensant aux pages que Proust consacre à la guerre de 1914-1918, dans le Temps retrouvé, où, en le personnage de Madame Verdurin, il fait la satire de la bourgeoisie de son temps, qu’il était regrettable qu’on ne lise pas Proust, qu’on se contente de le feuilleter seulement pour en tirer les fadaises sentimentales de rigueur (mais il est vrai que 3000 pages ou à peu près, c’est assez long), parce que tous nos travers, notre médiocrité devant l’histoire, toute notre misère s’y trouve peints. Car Proust, comme tout grand écrivain, est un moraliste. Et cette satire culmine dans la scène où Madame Verdurin, en période de pénurie et de restriction, ayant fait jouer ses relations pour obtenir l’ordonnance qui lui permet de soigner sa migraine avec un croissant au beurre, pleure à chaudes larmes le torpillage du Lusitania, tel que le relate le journal du matin, et qui coûta la vie à près de 1200 personnes, en le trempant dans son café au lait. J’ai mal à la tête, moi aussi, mais j’attends le moment de m’endormir pour, éventuellement, prendre un cachet, et passer ce que j’appellerais volontiers, « une bonne nuit de sommeil ».

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