« Ce n’est quand même pas très intéressant, tout ça », me suis-je entendu me dire à moi-même. Et circonscrire ce que recouvre exactement l’expression « tout ça » serait si long qu’il vaut mieux laisser le vague régner en maître. Vague à l’âme, pourrait-on dire, mais je préférerais qu’elle fût au féminin, plutôt que du vague à l’âme, la vague à l’âme, où l’on aurait tout loisir de s’imaginer une mer déchaînée, ou le flux et le reflux incessant des flots sur le rivage, les marées. Ce matin, sans raison apparente, je me suis senti très triste, au bord des larmes. J’avais envie de quelque chose qui m’excite, me stimule, quelque chose de plus, quelque chose de neuf, mais rien ne semblait me convenir, je cherchais un objet qui n’existe pas, parce qu’il ne peut pas exister, je cherchais dans le stock existant des choses qui peuplent l’univers quelque chose de tellement singulier qu’il n’y a que moi qui puisse l’inventer. Aussi, les objets vers lesquels je tournais tour à tour mon désir le décevaient-ils tous, n’étaient pas à sa hauteur, parce que seul quelque chose que je trouverai moi serait de nature à le combler. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre cela. En vérité, c’est à présent seulement (près de dix heures plus tard) qu’il me semble que je le comprends. J’allais dire : « On ne peut rien attendre du monde, du dehors, des autres », mais ce n’est pas exact, et il est inutile d’exagérer, il suffit de dire : « On ne peut pas tout attendre du monde, du dehors, des autres », c’est moins ambitieux, certes, moins grand, dira-t-on, et c’est peut-être tant mieux que ce ne le soit pas, que ce soit même un peu décevant. Je crois que la morale de l’histoire, ce qu’on peut appeler aussi « la vérité », si nous nous trouvions en sa présence, nous paraîtrait sans doute bien décevante. Et peut-être, avons-nous déjà été, et plusieurs fois au cours de l’histoire, qui plus est, en présence de son fin mot, de sa morale, de la vérité, mais cela, nous l’avons trouvé si décevant que nous nous sommes dits : « Mais ce n’est pas possible, ce ne peut être simplement ça »(un peu comme le « tout ça » de tout à l’heure). Et alors nous avons entrepris de trouver en réponse à cette insatisfaction des choses plus grandes, de plus en plus en grandes, et dont la grandeur croissante n’aura jamais eu pour effet que de nous rendre plus insatisfaits encore. Peut-être même que, au soir de leur vie, les êtres humains qui, ayant été en présence de la morale de l’histoire, de la vérité, s’étaient refusés à croire que ce n’était que ça et avaient donc poursuivi plus avant leur quête de grandeur, se rendant compte qu’elle ne signifie rien, que la vérité, la morale de l’histoire était chose beaucoup simple, regrettent cette simplicité, déplorent leur ambition, leur grandiloquence, et se lamentent sur la perte du temps passé, mais c’est trop tard, bien évidemment, n’y ayant pas cru eux-mêmes, qui pourrait les croire, à présent, s’ils entreprenaient de révéler le secret, la vérité, le fin mot de l’histoire, ne les accuserait-on pas de mentir, de décourager les rêves de grandeur de la jeunesse ? Ah, les vieux. Mais je ne sais pas, quoi qu’il en soit, j’ai le sentiment que cela ne changerait rien pour moi : il faut que je fasse les choses par moi-même. Ce que je cherche — la forme, la signification —, il n’y a que moi qui puisse le trouver.

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