Pluie sur Boboli. Une ville peut-elle être plus belle sous la pluie que non ? Ou est-ce encore une histoire de revenant ? La première fois que nous sommes venus à Florence, Nelly et moi, nous fuyions une horrible pension dans la campagne toscane (près de San Gimignano). Nous avions trouvé un hôtel, l’été, comme par miracle, à qui il restait une petite chambre au confort minimal, mais d’où, par une volée de marches, on pouvait accéder à une terrasse avec vue sur le Duomo. Il faisait très chaud. Je me souviens que les rues déversaient d’interminables processions de touristes sur les monuments de la ville. Et que c’était comme une forme de religiosité, qui s’exprimait là, mais qui n’exprimait rien, une consomption de soi : une fois la chose accomplie, il n’en resterait plus rien. Des années plus tard, cette consomption de soi n’aura fait que se marquer davantage : ce qu’il y a d’universel dans l’humanité, ce sont avant tout des actes dépourvus de signification en soi que l’on exécute par un mimétisme qui se mesure à l’échelle du monde entier. Qui peut réellement se dire : « Je sais ce que je fais » ? Voire : « Je fais ce que je fais ». En observant le parallélisme des colonnes à l’entrée de la chambre de Tabitha qu’a peinte Masolino dans la chapelle Brancacci à Santa Maria del Carmine (je l’ai noté de façon détaillée dans le carnet que j’ai commencé pour le voyage), je fais ce que je fais (j’en prends conscience un peu plus tard, je crois, notant, précisément, dans le carnet, ce que j’ai vu). Et peut-être que Masolino est un moins bon peintre que Masaccio, peut-être que tout ce que nous apprend l’histoire de l’art est vrai, mais ce n’est pas ce qu’il se produit quand on voit les choses, j’allais dire : en vrai, ou en acte, ou in situ, là, l’espace n’est pas simplement quelque notion abstraite dont on nous dit que la représentation se construit de telle et telle manière, c’est quelque chose qui apparaît, qui naît littéralement sous nos yeux (avant ce n’était pas là, maintenant c’est) et ce phénomène, si peu original qu’il soit, en 600 ans, en effet, il aura eu le temps de se produire quelques fois, n’en demeure pas moins génial en soi (« étonnant », dirais-je si ce mot n’avait pas acquis un sens affreusement banal, qui veut dire quelque chose comme le sens propre du miracle). Regardant depuis l’intérieur du Palazzo Pitti des trombes d’eau déferler sur les jardins de Boboli et puis, de l’autre côté, au-delà du Duomo, Fiesole dans les nuages, il devait rester des questions encore sans réponses (j’imagine), mais je pouvais toucher quelque chose du doigt (ne serait-ce qu’une métaphore).

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