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« Près de neuf Français sur dix estiment que François a été un bon pape », annonce le journal, et je me demande par quel miracle on parvient à un tel chiffre dans un pays où, selon le même journal, plus d’un Français sur deux affirment ne pas croire en Dieu. Peut-être le même miracle qui fait que le bidet, invention française déjà prisée de Madame de Pompadour, ne se trouve plus guère en usage qu’en Italie. Est-ce un blasphème ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, on le voit, on a beau s’acharner à uniformiser les mœurs des populations par de bureaucratiques décrets (ici comme là, désormais les bouchons en plastique ne se détachent plus des bouteilles de même matière, mais vous collent au nez quand vous buvez, — mais vous n’avez qu’à boire du vin, mon ami — c’est vrai, et nous ne nous en privons pas, figurez-vous, ma chère), d’irréductibles différences subsistent, comme ces églises pleines qu’on trouve de l’autre côté des Alpes alors que de celui-ci (je veux dire : celui où je vis et non celui où j’écris, le relativisme est un piège dont on ne sort jamais indemne, en France comme en Italie), elles sont désespérément vides. Et c’est tout le problème de la foi : comment l’avoir dans un pays où c’est chose morte, où rien ne vibre, rien ne souffle, où l’on ne voit pas la lumière ? Il faut dire que les Italiens ont pour eux les œuvres, ce qui n’est pas rien, mais tout : comment rester insensible, en effet, devant un crucifix de Giotto, une annonciation de Fra’ Angelico, une madonne de Boticelli, une cène de del Sarto, une déposition de Pontormo ? Il faudrait être anesthésié. Et, de mon point de vue, du moins, la foi est avant tout une question d’esthétique. Elle a trait non à des miracles, des angoisses liées à la vie après la mort, ou je ne sais quel point de théologie dont on peut discuter éternellement (si donc l’éternité existe), mais à la beauté des œuvres. La beauté des œuvres et non du monde, — c’est-à-dire : qui s’intéresse à la beauté du monde peut bien songer à Thoreau et au land art, mais qui s’intéresse à la beauté des œuvres (et ce qui-ci peut tout à fait être le même que ce qui-, je le crois, on peut s’intéresser à ceci et à cela, alternativement, voire en même temps), c’est à l’Italie qu’il devra s’intéresser. Du moins, est-ce mon idée. J’aime l’Italie, comme les troubadours, leur dame, Pétrarque (un autre François), sa Laure, — de loin. Ce n’est pas que je sache que je ne pourrais pas y vivre (nombre de mes ancêtres l’ont fait avant moi, pourquoi ne le pourrais-je pas ?), c’est qu’elle est comme une sorte de refuge mental (chimérique, peut-être), comme si je savais qu’il y avait un endroit au monde où je pouvais aller et être heureux (et trop boire et trop manger, mais à ce sujet, nous partons demain, heureusement). Visions du jour : une tête de maure sur le sol à l’entrée de Santissima Annunziata et une jeune femme laurée non loin de Sant’Ambrogio.