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Je crois qu’il n’y a pas vraiment de sommeil. Ou, quelque chose comme : écrire ne dort jamais. Ce n’est sans doute pas une forme très correcte du point de vue de la grammaire acceptable (et puis, qui se soucie encore des formes correctes du point de vue de la grammaire acceptable ?), mais la façon dont cette formulation tord la grammaire pour dire quelque chose qui se situe quelque part sur la frontière entre le dicible et l’indicible me semble juste. Ce n’est pas correct, c’est juste, et c’est bien, non ? Écrire ne dort pas, donc, et ce paragraphe (six lignes, trois phrases) que j’ai écrit le neuf avril après avoir terminé le 1.2.19 de loin de Thèbes, qui devait être la fin du grand 1 (1 de rang 1), je l’ai oublié sans l’oublier puisque, tout à l’heure, revenant à lui après vingt jours sans, je l’ai coupé en deux, après la fin de la première phrase, cette phrase qui constitue désormais la dernière phrase de 1 (de rang 1), soit 1.2.20, et j’ai écrit un chapitre nouveau (circa 11000 signes) dont cette phrase est la conclusion. Dans mon esprit, ces trois phrases devaient être le début de 2 (de rang 1), soit dans la numérotation que j’ai adoptée jusqu’à présent, 2.1.20 (à supposer que la structure de 2 soit la même que la structure de 1, ce que je ne sais pas encore, je pense que oui, mais je pense aussi que ce peut être trop rigide, ou alors il faudrait que, à un moment, ou de temps à autre, cela reste à déterminer, ou à indéterminer, quelque chose explose à l’intérieur de ce cadre, sorte du cadre, fuie, je ne sais pas, ce sont des possibilités que j’évoque, rien de définitif), mais cela n’allait pas. C’était en quelque sorte trop expéditif : c’était un expédient, or je ne veux pas d’un expédient, je veux écrire, il me fallait donc faire autre chose. Mais les deux autres phrases du paragraphe n’échappent pas au problème que posait l’ensemble, elles aussi, ainsi, elles ne vont pas, je veux dire : elles ne vont pas dans la bonne direction, ou si elles y vont effectivement, ce qui me semble être le cas, dans la bonne direction, elles n’y vont pas comme il faut, elles y vont trop vite ou pas au bon rythme, et écrire, c’est aussi une histoire de rythme. Écrire, c’est plusieurs histoires (je n’aime pas ces phrases qui font « Écrire, c’est ceci et cela », c’est une facilité d’expression qui me déplaît, mais enfin, de temps en temps, cela peut aller, disons qu’il ne faut pas en abuser, ou alors entendre le « c’est » de « Écrire, c’est… » différemment, non pas comme répondant à la question « Qu’est-ce que… ? » mais à la question « Quand est-ce que… ? », ce qui va assez bien avec le sujet, puisqu’écrire, ce n’est pas une chose, une entité, c’est une activité, une dynamique, il faut donc privilégier la formulation de Goodman, non pas « What is art ? », mais « When is art ? », non pas « Qu’est-ce que l’art ? », mais « Quand est-ce que l’art ?), c’est l’histoire racontée, l’histoire de l’écriture en train de se faire (le work in progress), la structure (ou la déstructure) de l’ensemble, l’organisation à la fois spatiale et temporelle (de même qu’écrire prend du temps, lire prend du temps aussi), l’allure à laquelle va l’histoire (à la fois la phrase individuelle et l’ensemble, la somme des phrases, parfois vite parfois lentement), la dynamique microtextuelle et macrotextuelle, le rythme du texte en tant qu’ensemble qui a un début et une fin (au sens où il commence et s’arrête à des moments donnés) et que phrases qui elles aussi ont un début et une fin (même la prétendue grande phrase unique dans un livre comme xxxx xx xxxxxx xxxxx n’échappe à cette dualité micro et macrotextuelle, d’ailleurs en ce qui concerne xxxx, soit dit en passant, c’est xxx xxxx xxxxxxx xx xx xxxxxxxx x xxxxx xxxxxxxx xxxxxxx xx xxxxxxxx xxxxxxxx x xxxx, c’est une escroquerie, ce qui explique probablement le succès de son auteur). Tous ces histoires sont, ou plutôt : font, ce sont toutes ces histoires qui font l’écriture, l’écriture porte en elle toutes ces histoires, et quand même le texte fini chercherait à les masquer, les gommer ou au moins à ne pas les faire voir, elles sont toujours là, présentes, en sont le cœur qui bat, sans lequel il n’y a pas de vie. Est-ce pour cela que je prends ces notes sur le livre que je suis en train d’écrire ? Je ne sais pas. Cela m’aide à réfléchir au livre même, cela m’aide à l’écrire, même quand je ne suis pas en train de l’écrire, il me semble qu’il est là, et même quand il ne me semble pas qu’il est là il est là, il est toujours là. Et cela aussi, c’est écrire. Écrire, c’est toujours écrire. Écrire, c’est écrire toujours. N’avais-je pas écrit des phrases dans Pedro Mayr, je crois, où je me moquais du grand écrivain qui écrit même quand il n’écrit pas ? Dans mon souvenir, Pierre regardait la télévision où un écrivain se répandait sur sa grandeur, racontait des choses comme celles-là : « Même quand je n’écris pas, j’écris ». Mais ce n’est pas du tout ce que je veux dire ici (au moins en ce sens que je ne suis pas un grand écrivain prétentieux, je suis un petit écrivain sans prétentions), ce que je veux dire, c’est que le texte vit sa vie à lui, il continue de vivre, de se développer, de respirer même quand, littéralement, on n’est pas en train de l’écrire. La nuit, souvent, avant de m’endormir, des phrases me viennent, et puis je les oublie. Mais est-ce que je les oublie complètement ou est-ce qu’elles passent autrement dans l’écriture ? C’est cela, et non ce que Pierre reprochait au grand écrivain télévisé (xxxxxxxx xxxxxxx), que je voulais dire.