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Sur l’écran de mon ordinateur, depuis bientôt un mois, ou environ, je crois, il y a une photographie de xxxx xxxxx xxxxxxx. Il est habillé comme presque toujours je l’ai vu habillé, d’un costume sombre et d’une chemise blanche, dont j’avais remarqué qu’en plus des boutons largement ouverts sur le torse il ne boutonnait pas les poignets, habitude que je m’étais empressé d’imiter. On le voit descendre une sente dans une forêt de pins, en Provence sans doute, pour rejoindre une petite cabane verte, qui semble en assez mauvais état. De temps à autre, peu ces derniers jours, mais il m’est arrivé de le faire plus souvent, il y a quelques semaines de cela, presque tous les matins, quand j’ouvrais l’écran de mon ordinateur, je caresse ou frôle de l’index (partie extérieure de la deuxième phalange) de la main droite, l’endroit de la photographie où l’on voit xxxx xxxxx xxxxxxx. C’est une sorte de rituel (l’image étant elle-même une manière d’ex voto) dont j’ai du mal à m’expliquer le sens ou, puisqu’il me semble qu’en cherchant quelque peu je pourrais en trouver un, voire plusieurs, mais je ne suis pas certain que cela serait très intéressant, je crois au contraire que ce serait forcé, il s’agirait là d’une explication ou d’un ensemble d’explications ad hoc, manquant de naturel alors que, justement le geste l’est, au sens que voici, que j’ai commencé à faire spontanément, sans y penser vraiment. Et m’apercevant que je le faisais, ce geste, spontanément, donc, naturellement, presque, je me suis dit : Tiens, ce n’est pas la première fois que je fais ce geste-là et, immédiatement, j’ai pensé au pied de Montaigne, sur la statue de lui qui se trouve en face de la Sorbonne, rue des Écoles, et dont j’avais remarqué il y a bien des années de cela, déjà, qu’il était usé à force d’être touché par des mains, et je l’avais pris en photographie (avec cette légende, que je cite de mémoire : « Rue des Écoles, le pied de Michel est usé ») pour me souvenir de ce geste qui me semblait étrange : pourquoi toucher le pied d’une statue, pourquoi ce besoin de laisser sa trace, la trace de son passage, et puis, à force d’être touché par toutes ces mains, ce pied doit être affreusement sale, a-t-on idée des maladies qu’on peut attraper en touchant quelque chose que des centaines de mains ont déjà touché ? Avec la photographie où l’on voit xxxx xxxxx xxxxxxx rejoindre une cabane en Provence, je ne cours pas ce genre de risque (il n’y a que moi qui frôle l’image). Cette image, comme pour cette histoire d’ex voto, il m’a semblé qu’elle avait quelque chose d’une image pieuse, mais c’est absurde : pour qu’il y ait piété, il faut qu’il y ait culte, et moi, me suis-je dit après que je me suis fait cette réflexion, je suis tout seul dans ma vénération. Pourtant, elle a une importance (une importance bizarre, faut-il que je m’empresse de préciser) parce que j’ai l’impression de faire quelque chose en faisant ce geste, quelque chose de plus que faire ce simple geste, et qui fait que c’est un geste et pas un simple mouvement réflexe du doigt pour enlever une poussière ou une miette qui se trouverait là, à me gêner, sur l’écran, quelque chose qui me rapporte à une signification que je désire donner à mon existence, que j’ai déjà commencé à donner à mon existence, mais qu’il faut que je continue de donner à mon existence. J’insiste sur cet aspect parce qu’il me semble que c’est en grande partie le sens du texte que je suis en train d’écrire en plus — façon de parler, « en même temps que » serait mieux — de loin de Thèbes, texte qui n’a pas de titre, mais qui compte déjà près de 110000 signes, fait qui, quand je m’en suis aperçu, il y a quelques jours de cela, m’a étonné parce que je pensais que c’était beaucoup plus bref, que ce n’était encore qu’une espèce d’embryon d’ébauche, alors que ce sont déjà deux chapitres dignes de ce nom que j’ai écrits, et cela m’a étonné, c’est ce que je viens de dire, mais cela m’a plu aussi, et un peu inquiété aussi. « Sens à donner à mon existence », ai-je écrit, ce texte coud entre eux des éléments qui semblent distincts les uns des autres, des fragments, dirait-on, mais pas moi, qui n’aime guère ce mot (je le trouve usé, depuis Pétrarque, il a beaucoup trop servi, et il a besoin de repos, désormais, d’un long repos, de siècles de repos), mais participe d’une même continuité qui n’a pas été pensée comme telle, mais qu’il m’appartient de mettre au jour, parce que c’est cela, le sens d’une vie. D’où la joie, on le comprend, mais aussi l’angoisse, on le comprend aussi. Tout cela se trouve dans un dossier intitulé « Cette nuit, j’ai rêvé », début de phrase qui ne se trouve même pas dans le texte tel qu’il est rédigé actuellement, mais qui n’est peut-être pas très éloignée de ce que c’est que ce texte, — une sorte de rêve.