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Je ne sais pas si je n’ai pas grand-chose à dire ou si je préfère garder le silence. Trop de monde parle, de toute façon. Mais alors pourquoi ne me tais-je pas ? Déjà répondu à la question : il me semble que ce serait une abdication. Dès la fin de la matinée, des cars de CRS viennent prendre position sur le boulevard en attendant les manifestations de l’après-midi : les x contre les anti-x. X = quoi ? En vérité, quo, peu importe, tout est n’importe quoi. Un peu plus tard, on entend sur le boulevard des cris qui ressemblent à des chants de supporters d’une équipe de football mais qui sont pourtant censés être des slogans politiques. Un message. La farce. Je ne parviens à adhérer ni à l’x ni à l’anti-x, qui me semblent tous deux se ressembler tant qu’on n’a affaire qu’à une bouillie assez nauséabonde de pseudo-pensée. On n’a pas envie de se parler, on a envie de s’entretuer, c’est ce qu’il se passe, en effet, quand l’État ne remplit pas sa part du contrat social et s’invente des droits qui ne sont pas les siens sur les individus, qu’ils laissent impuissants, tout juste bons à être violents. Revient alors le temps auquel Il devait avoir mis fin : c’est la guerre de chacun contre chacun. À mort tout le monde. Les comportements se singent, les manifestations politiques, les tribunes de supporters : quand des gens accèdent au toit du centre commercial pour y tirer des feux d’artifice, le ridicule est achevé. Tout est consommé. On aurait tort de parler encore de spectacle, comme on s’en contente trop facilement pour faire semblant de penser, le ridicule égale un néant niais qui ne mérite même pas le nom de nihilisme. Mais ce n’est pas cela qui me dérange, non : c’est l’inlassable privatisation de l’espace public, qu’il faut toujours remplir de soi, remplir de sa présence, remplir de sa haine ou de son argent. LVMH, les x ou les anti-x, les supporters du PSG, en vérité, tout le monde fait la même chose, se comporte de la même manière, a la même frénésie de conquête : c’est l’histoire de la ville, qui ne supporte pas le vide, qui a toujours besoin de le remplir et qui déborde, sort de ses murs pour conquérir l’espace alentour (la « campagne » est le nom que la ville donne à ce sur quoi elle lorgne, son négatif, son anti, dont elle veut prendre possession,  tout comme la « nature » est le nom que la civilisation lui donne, et c’est le même vocabulaire, la même hargne de détestation, la même volonté d’accaparement). Ce n’est pas de moi qu’il eût fallu qu’il vînt, ce silence (le silence, je sais le faire pour moi), mais du dehors, que le dehors mît le doigt sur la bouche du monde et chut. Mais, c’est impossible : demain, il y aura encore un appel à manifester, à prendre possession de l’espace public, à fermer l’ouvert (« Et la rue, elle est à qui ? Elle est à nous ! À qui à qui à qui ? À nous à nous à nous ! »), et puis un autre, et puis un autre, et ainsi de suite. De toute façon, les terrasses sont déjà pleines. C’est l’heure de l’apéritif. LVMH, le PSG ou l’ONG, quelle différence cela fait ?