Autant que la forme de l’histoire de la vie (dessin en rhizome ou mycélium plutôt qu’en arbre), c’est la texture du vivant qu’il faut concevoir différemment. Non pas à la manière monadologique de Leibniz (Cf. Monadologie, § 7 : « Les Monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. »), mais dans une ouverture maximale au dehors, lequel dehors dès lors n’est plus le dehors en tant qu’extériorité, mais un aspect parmi d’autres des constantes mutations qui ont lieu au cours du temps dans un espace. La texture du vivant est poreuse, il n’y a pas d’environnement à proprement parler (au sens du dehors qui nous entourerait), pas de nature (au sens de l’altérité au sein de laquelle nous serions), pas de coupure, mais échanges permanents. Les deux — dessin et texture — sont intimement liés : si l’être n’est pas hermétique, mais poreux, pas clos, mais ouvert, alors son histoire n’est pas une articulation de lignes suivant une logique unidirectionnelle, mais déploiement omnidirectionnel à tendance anarchique (invasion, colonisation, propagation, etc.), et la différence ne vaut pas distinction, écartement, distance, hiérarchie, elle est l’expression de l’ampleur de l’histoire, de sa richesse, la vie tendant au maximum de possibilités. Il n’y a pas d’être (pas d’êtres), et l’individu (ce un que l’on croit pouvoir distinguer d’un autre : un arbre, un champignon, un oiseau) n’est pas la monade, mais une configuration temporaire du vivant. L’ontologie est vouée à disparaître (après tout, elle est peut-être moins ancienne que cet Armillaria solidipes, un champignon de la forêt nationale de Malheur dans l’Oregon, qui mesure près de dix kilomètres carrés, et serait vieux d’au moins 2500 ans, si ce n’est plus de 8000) et, avec elle, les formes plus ou moins systématiques et rationnelles (comme en sont, par exemple, les monothéismes) que la pensée monologique a pu prendre au cours de l’histoire humaine. Pour cela (pour parvenir à l’écrire, faut-il que je le dise), il aura fallu m’abstraire du vacarme permanent qui, du soir au matin, règne sur la ville (klaxons des taxis, sirènes des véhicules d’urgence, bruit que font les gens avec leur bouche, travaux partout, infrabasses dans le voisinage, et caetera jusqu’à l’abrutissement universel), et trouver des ressources insoupçonnées afin d’écouter les autres voix qui cherchent à s’exprimer malgré tout ce qui, obstinément, les étouffe, leur nuit. Avant de venir mettre la dernière main à ce petit ouvrage, sécher les larmes de Daphné, la prendre dans mes bras (« faire un petit tour » : comme quand elle était plus jeune, la portant dans mes bras, aller de pièce en pièce regarder au dehors par les fenêtres de l’appartement, y compris le judas de la porte, pour voir ce qu’il s’y passe), et lui dire que je l’aime. Qui, en cette présence, pourrait vouloir détruire la vie ?

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