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Épuisante présence à laquelle nous sommes requis. Épuisante, c’est le mot, ne trouves-tu pas ? À la fin, de ressources pour vivre notre vie comme nous pourrions l’entendre si nous en avions encore quelques, il ne nous en reste précisément plus ; on nous les a toutes prises. Et on, ne te méprends pas, je le puis nommer avec précision, malgré son impersonnalité — on n’est pas une personne, mais ce n’est pas personne — : c’est tout l’ordre social dont il s’agit, qui ordonne le désordre de notre existence. Qui ordonne le désordre, c’est-à-dire : nous y condamne dans la confusion de tout, et permanente, sans signification, sans destin. Il faut toujours qu’il se passe quelque chose mais, en réalité, qu’est-ce qui a lieu ? La signification se disperse, la vie est en pièces, et il n’y a rien pour coudre ensemble ces lambeaux. N’as-tu pas remarqué que, à la faveur de la porosité, c’est toujours le privé qui envahit le public, exactement comme dans la rue : le désert recule chaque fois que la propriété avance. Il faut bien gagner quelque chose. Tout à fait au contraire de nos consciences, aurais-tu envie de me répondre, peut-être, où le désert progresse. Mais, conscience, ce n’est qu’un mot, surchargé de tradition, pour dire une certaine fonction des organismes tant qu’ils sont en vie qu’une conception spéciocentriste de la vie nous empêche sans doute de comprendre comme partagée par tout. Je me bouche les oreilles pour dormir, notamment, pour penser, parfois, pour ne pas être sans cesse assailli par le vacarme qui règne dans la ville, mais je ne peux pas vivre les yeux bandés, et me couper du monde — tu sais déjà que je ne vois presque personne —, ce n’est pas une approche désirable de l’existence. J’en ai une autre. Mais comment transformer la vie afin qu’elle devienne pleinement désirable, pleinement vivable ? Les phrases que j’ai écrites aujourd’hui (les premières me sont venues cependant que je courais), j’ai beau ne pas savoir s’il faut que j’inaugure un nouveau carnet pour elle ou s’il faut que je les place à la suite de celui où sont consignées mes éclaircies (et, si j’inaugurais un nouveau carnet, quel type de nouveau carnet : à spirale comme celui des éclaircies, un noir comme celui dans lequel j’aimais écrire pendant le confinement ? — toutes considérations qui pourraient sembler annexes, vaines, mais tu me comprends, toi), je les ai notées quand même pour ne pas les oublier. Je viens de les relire. Je t’en parlerai peut-être, une autre fois.