“Petit chantier”. Idée. Qu’elle soit réalisée ou non, un jour, je ne vais pas dire que cela n’importe pas, mais si je n’avais pas d’idée, quelle chance aurais-je de les jamais réaliser ? Zéro. Quand est-ce que j’ai écrit zéro plusieurs fois sur des petits morceaux de papier que je venais de déchirer parce que le dessin que j’avais voulu faire était raté ? Hier. Avant de les jeter à la poubelle. Mais rater, est-ce vraiment le sujet ? On vante les vertus de l’échec, mais est-ce que l’échec existe réellement ? Je ne sais pas. Échec présuppose but, mais quel est le but ? Gagner ? Mais gagner quoi ? Et perdre quoi ? Je ne sais pas. Et ce ne sont pas que rhétoriques questions. Depuis Beckett, cette question de l’échec a zombifié des générations d’écrivains, comme le rhizome parasité d’autres générations de penseurs, écrivains, artistes, dieu sait qui. Comme si recevoir le prix Nobel était un échec. Alors, on pense l’échec depuis la réussite, et l’on ne comprend rien. Qui s’en étonnera ? Réussir, échouer, en vérité, cela ne veut pas dire grand-chose, mais penser, en revanche, oui. Avoir des idées. Ne pas demeurer chose morte, sans espoir, c’est-à-dire : sans espérance de vie, c’est-à-dire : sans devenir, c’est-à-dire : sans idées. Mais est-ce vraiment sujet à surprise que qui n’a pas d’idées — enfin, si ce ne sont les idées des autres — s’interroge sur le succès et l’échec ? “Petit chantier” : en silence, je fais le trajet de l’idée, et qu’elle porte ce nom ou non, in fine, cela m’importe guère, je vois la forme, je vois la lettre, tout est visible, tellement visible, n’est-ce pas là ce qui est le plus vrai ? Hier, non, avant-hier, j’ai donné mon sens du vrai dans cette note que je n’ai encore transcrite nulle part. Un premier “petit chantier”, serait-ce sa place à venir, le lieu de son devenir ? Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qui m’en empêche ? Rien ne m’en empêche : tout est ouvert, n’est-ce pas cela, penser, que rien n’empêche que tout te soit ouvert et que tu sois ouvert à tout ? Quand est-ce, ce matin ? oui, ce matin, je crois, ce matin, suivant le chemin esquissé hier (je n’ai pas de race), je me suis souvenu de cette blague que j’ai entendu durant toute ma jeunesse à Marseille, et à laquelle j’étais bien obligé de rire puisque tout le monde le faisait, rire : « Tu sais ce que c’est un Corse ? Non ? C’est un Arabe trop fatigué pour nager jusqu’en France. » Avec un nom comme le mien — un nom auquel, pourtant, pour une bonne part, je suis étranger —, il n’y avait pas de quoi rire, et ce, non à cause la proximité avec l’Arabe, qui est l’anti-Français par excellence (cf. le propos de mon oncle Jean relaté il y a quelques jours de cela), mais à cause de l’idée que chacun se fait de l’autre : tout le monde est son ennemi. Ici, et par là, j’entends : le pays que voici, ici donc, le “Blanc”, par haine réciproque, on le confond avec le “Français de souche”, mais moi, quelle est ma souche de France ? Avec des contingences de hasard, on fabrique des catégories faussement scientifiques — la race dont on ne sait ni comment la définir, ni combien il y en a, ni où l’une commence et l’autre s’arrête, ni avec quelle nuance la peindre, galimatias de gens perdus à la recherche de quelque référence crédible, bientôt, tout cela tombera dans le même discrédit que le matérialisme dialectique, la psychanalyse, et on se dira : « Ah, mais ces gens qui ne se sont pas laissés endoctriner, qui ont continué de penser hors du dogme fallacieux, comment se fait-il que personne ne les ait écoutés ? » avant de promouvoir quelque nouvelle imbécilité afin d’en faire une mode, afin de prendre le pouvoir avec — avec lesquelles on s’imagine penser les relations entre les gens et non seulement, les rendre meilleures. Mais de qui l’on se moque en réalité — i. e. quel pouvoir on entend ce faisant prendre sur l’autre —, cela personne ne le dit jamais. Je n’ai pas de race, je coule comme l’intérieur des mers, et j’ai de l’eau salée plein la bouche, c’est ainsi que je respire.

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