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“Petit chantier” (l’idée, bis). D’abord, faire le vide, commencer par l’ignorance, rien du tout. La généalogie de l’idée, je la connais, mais elle ne pourra t’intéresser, tu ne pourrais pas la comprendre, puisque tu ne participes pas de la forme de vie qui est la sienne, du désir de sa forme de vie. Aussi, je vais garder le silence à ce sujet. Et si, par hasard, elle devait se révéler d’elle-même (mais ce serait un événement étranger au projet en tant que tel, c’est de son éventualité que l’idée est venue, mais elle n’y est pas réductible), alors ce serait clair, en effet, mais est-ce que tu apprendrais quelque chose, est-ce que tu comprendrais quelque chose ? Je n’en suis pas certain. Aujourd’hui, je n’ai rien écrit, mais je me suis posé une question importante, à mon sens, une question de seuil : ce en dessous de quoi un x n’est pas possible, un x = vivre ou x = habiter, par exemple (note que, bien sûr, ces exemples ne sont pas pris au hasard, vivre et habiter m’obsèdent, d’autant plus que vivre et habiter me semblent profondément solidaires, chaque forme de vie habitant l’univers à sa manière), le n en dessous duquel x n’est plus possible, se détruit, s’anéantit. Question de ressources, aussi : de quoi avons-nous besoin pour vivre ? Question qui se décline encore ainsi : d’où avons-nous besoin pour vivre ? C’est-à-dire, tout à la fois : combien de mètres cubes ? à combien en temps de marche de la mer ? etc. Le minimalisme, alors, ne s’entendra pas comme le moins possible, mais comme le moins nécessaire, le juste au-dessous de quoi ce n’est pas assez, la vie est menacée, on ne peut pas habiter comme il le faut la partie de l’univers où nous pouvons habiter. Ces questions de seuil, il me semble, sont indispensables. Pour le dire en termes pragmatistes : on s’est trop posé de questions de nature (la pensée ontologique du τί ἐστι) et pas assez de questions de degrés (à partir de quand, combien, quel moment, la vie apparaît ? au-dessous de quel seuil le vivant se trouve-t-il menacé ?). À elle seule, c’est mon idée, la découverte de l’évolution ruine toute possibilité d’une pensée ontologique car elle apporte la preuve que rien ne demeure jamais l’étant qu’il est — pour x, demeurer l’étant que c’est, c’est mourir —, sinon nous ne serions jamais devenus autre chose que des bactéries et, fondamentalement, pourtant, nous ne sommes pas autre chose que des bactéries, rien que des bactéries développées, des bactéries qui ont vécu, des bactéries qui vivent. Les pensées protectionnistes, conservatrices (qu’elles visent à protéger, conserver la tribu, la nation ou la nature), tout comme les pensées identitaires (qu’est-ce que le vrai x en tant que x), participent toujours de la même illusion fixiste, pur produit de la pensée ontologique : τί ἐστι, ou mais qu’est-ce que c’est que ça ? La pensée du degré — s’imaginer potentiellement un escalier infini ou s’orientant dans une histoire immense, pour nous, de toute façon, rapportée à la longue durée, c’est à peu près la même chose : nous avons autant de mal à nous représenter l’infini qu’un milliard d’années — est une pensée non du terme, mais de la dynamique, de l’évolution, non de l’identité (x = x) ni de la différence (x x), mais de la métamorphose continue (l’histoire, dont l’écriture n’est qu’un bref moment), des transformations incessantes qui sont la vie des vivants.