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Si je me demande pourquoi — pour quoi, pour qui ? — j’écris, connaissant la réponse — rien, personne —, je vais être tenté d’arrêter purement et simplement, aussi, quand la question se présente, et elle ne manque jamais de se présenter, la cruelle, je m’empresse de la chasser. Peut-être ai-je tort, peut-être faudrait-il que je l’affronte de nouveau, comme déjà je l’ai affrontée plusieurs fois, arrêter d’écrire, après tout, ce ne serait pas exactement la fin du monde, ce serait, dans une certaine mesure, ma fin à moi, mais celle du monde, non je ne le crois pas. Serait-ce grave, ma fin ? Ce matin, j’ai lu dans le journal les premières lignes du portrait d’un écrivain dont je n’avais jamais entendu parler, et ce dont il était question m’a semblé profondément stupide. Mais, à présent que j’y pense, je me dis que c’est probablement moi qui suis profondément stupide, et tous ces gens qui écrivent ce qu’ils écrivent qui ont tout compris, tandis que moi, je ne fais rien comme il faut. Je ne sais pas si c’est vrai. Je ne sais pas si ce n’est pas vrai. Je ne sais pas comment faire pour savoir ou bien si c’est vrai ou bien si ce n’est pas vrai. C’est un peu comme lorsque l’on entend des gens dire qu’il faut sauver la planète alors que, même si toutes les espèces qui vivaient aujourd’hui disparaissaient de la surface de la terre, la terre, elle, ne disparaîtrait pas. Après tout, qui pleure sérieusement la disparition des dinosaures, disparition sans laquelle nous ne serions tout simplement jamais apparus à la surface de la terre ? Peut-être que, à supposer que nous disparaissions de la surface de la terre, ce qui, compte tenu du nombre d’années qui restent à la terre avant de disparaître, n’est pas tout à fait impossible, des espèces au moins aussi intéressantes que nous (qui peut nier que les dinosaures furent une espèce intéressante ?) verraient le jour. Mais je ne vois plus trop le rapport avec ce que je voulais dire. Y en a-t-il un ? Y en a-t-il jamais eu un ? Je ne sais pas. À un moment, je l’ai vu clairement, et puis, j’ai écrit une phrase de plus, et le rapport s’est évanoui. Faut-il que je le cherche ? Qui est le dinosaure ? L’écrivain dans le journal ? Moi ? C’est vrai que je vieillis, mais je ne suis pas une espèce à moi tout seul. Suis-je une espèce à moi tout seul ? La vérité (une vérité parmi tant d’autres), c’est que je me suis effectivement demandé s’il fallait que j’écrive ce journal aujourd’hui, notamment parce que je ne l’écris pour rien ni pour personne, et la réponse, je ne l’ai même pas trouvée, elle était là, toute seule, qui faisait ses affaires dans son coin. Mon regard s’est perdu quelques instants dans le vide du désespoir, là où il n’y a personne, là où il n’y a pas de réponse, et je me suis mis à écrire. J’ai envie de Méditerranée, mais il me va falloir attendre encore, deux mois et demi, environ. C’est la vie. Enfin, la vie, je ne sais pas ce que c’est cela, la vie. C’est ma vie. Il me faut faire avec. Elle pourrait être pire.