J’aime vivre pieds nus. Et donc quand il fait chaud. Relativement chaud. Mais Paris n’est pas faite pour la chaleur. Tout de suite, l’air y devient irrespirable. Dans la rue, on ne sent plus que la puanteur, on ne voit plus que la crasse par terre. De toute façon, c’est partout pareil, non ? Je ne sais pas, peut-être. Mais ici, il y a un mythe qui perdure, a la peau dure. Fondé sur un mensonge. (« Paris is so beautiful, you know », peut-être, mais moi, j’ai besoin de vert, et de bleu, et de blanc calcaire écume, et de jaune illuminant, et de vie qui respire.) En plus, j’ai dû contracter un virus. Nelly me dit : « C’est peut-être le Covid. Je connais des gens qui l’ont en ce moment. » C’est drôle comme on emploie désormais des expressions toutes faites qui, il y a quelques années à peine, n’auraient eu absolument aucun sens pour nous. C’est cela, exactement, la vie sociale : cette circulation du non-sens, qui contamine toutes nos vies à notre corps défendant. Moi, je ne connais personne, mais trop, quand même, puisque je contracte le virus des gens. J’ai envie de fermer les yeux et de ne les ouvrir que dans très longtemps. De me fondre dans un décor lointain, entretemps, imaginaire, sans doute, et encore, est-ce si sûr que cela ? Ce n’est pas que je ne sache pas ce que je veux, c’est que, le sachant, il me vient toujours l’envie de le détruire : c’est le syndrome de la raison, sa malédiction, pour être authentiquement heureux, il faudrait ne plus jamais penser, s’abrutir ou se dissoudre, sinon il y a toujours un hiatus, une faille, une distance, un regard, une critique, un mot, une idée qui survient, surgit, et emporte tout dans son émergence. C’est ainsi, je n’y puis rien. Peut-être alors faut-il que j’apprenne encore à diriger, à orienter cette force destructrice. C’est une hypothèse que Musil n’a pas envisagée, ce me semble, dans l’Homme sans qualités, où Ulrich ne parvient à rien, et le roman se révèle impossible à achever. L’inachèvement est immense, certes, mais il demeure inachevé. Il faut accomplir les choses. L’esthétique du fragment a fait son temps (trop long). L’ordre n’est pas fasciste. Qui n’a pas d’ordre dans les idées, notamment, ne peut pas maîtriser la force négative de la raison : rien n’étant achevé (-able), on détruit ou se détruit, abrutit ou s’abrutit. Je suis fatigué.

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