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Nulle colère ne résiste à quinze kilomètres de marche ; — même dans Paris. Pourquoi étais-je en colère, ce matin, déjà ? J’ai oublié. À cause de Paris, probablement. Et des sentiments que j’éprouve contre et tout contre cette ville. Inquiétant. Qu’est-ce qui est inquiétant ? Je ne sais pas vraiment : moi ? Mais je sais que, marchant, confronté à tous les problèmes qui se posent et s’opposent à moi en ce moment (pas de travail, pas d’amis, et tout et tout), j’ai trouvé une réponse qui m’a satisfait : continuer. Mot à mot, je me suis dit : « Il faut commencer par continuer ». Ce qui ne manqua pas de me sembler paradoxal, parce que continuer, précisément, ce n’est pas commencer, c’est continuer, pas autre chose, et c’est déjà beaucoup, si on peut continuer, c’est au moins que l’on n’est pas mort, et pour résoudre un problème, et a fortiori plusieurs, ne pas être mort, ce n’est pas un atout négligeable, non, mais ce n’en était pas moins vrai : dans l’espoir de trouver une solution à ces problèmes, il fallait que je commence par continuer ce que j’avais commencé de faire il y a quelques semaines. Quand je suis rentré à l’appartement, je me suis regardé dans la miroir de la salle de bain, et j’ai trouvé que la peau de mon visage avait un certain éclat. J’entends : un bel éclat. J’ai observé un peu mieux, afin de m’assurer que je ne m’illusionnais pas, et non, en effet, la peau de mon visage avait un teint plus uni, plus net, un crème rosé, dirais-je, elle avait l’air plus souple, aussi, et plus fine, plus douce, moins granuleuse, plus homogène, bref, elle était plus belle. C’est donc vrai, me suis-je dit assistant au spectacle un peu réjouissant de moi-même, c’est donc vrai ce que l’on dit : l’arrêt de l’alcool a bel et bien des effets positifs sur l’apparence physique de l’abstème. D’habitude, quand je ne bois pas d’alcool en janvier, je ne vois pas trop la différence : c’est généralement le moment que je choisis pour tomber malade et, dans la grisaille hivernale de Paris, les questions de teint et de rayonnement épidermique se confondent dans une uniformité désespérante avec l’atmosphère globale de dépression post-festive. Alcool ou pas, dans la ternissure universelle d’un monde qui s’abandonne à la neurasthénie, la différence est invisible. Ce qui ne signifie donc pas qu’elle n’existe pas. Et c’est quelque chose que Danto aurait dû savoir, dans son analyse de la Brillo Box de Warhol : ce n’est pas parce que la différence ne se voit pas qu’elle n’existe pas. Et, plus généralement, ce n’est pas parce qu’un phénomène ne se voit pas qu’il n’existe pas. Remarque qui devrait donner matière à penser aux censeurs et autres contempteurs de la liberté d’expression. Mais je m’égare, voilà qui n’a rien à voir avec mon sujet. Mais quel sujet ? Je ne sais pas vraiment : moi ?