S=P-1. — La conscience fatigue. Pourrais-je oublier que l’existence est étrange, et vaine ? Pourrais-je me dispenser de penser ? J’observe un homme faire son lit dans sa mansarde. La fenêtre est ouverte, il y a de la lumière qui vient de l’intérieur de la pièce et je le vois qui tourne autour d’un objet invisible, un drap blanc à la main dans un vêtement de même couleur. La scène se déroule de l’autre côté du boulevard. Un instant, je me demande : Me voit-il en train de le regarder ? Hautement probable que non. Je ne vois que des bribes de ses mouvements. Il dessine un arc-de-cercle du bras, pivote sur lui-même. Et, à vrai dire, je ne suis pas certain de ce qu’il fait. Peut-être que je m’imagine qu’il fait son lit parce que je me trouve allongé sur le mien. Peut-être n’en fait-il rien. Peut-être joue-t-il au fantôme (« Ouh ! Ouh ! », gémit-il sous son drap blanc). Peut-être est-il un fantôme, un vrai. Ce qui viendrait physiquement contredire ce que j’ai affirmé à mon père, il y a quelques jours à peine de cela : « Mais papa, les fantômes n’existent pas. » Je ne sais presque rien d’elle, et pourtant, cette chorégraphie fragmentaire me fascine. Mouvements qu’on exécute sans même y penser, sans y être concentré, sans être réellement à ce que l’on fait, présent, sans être nulle part, vraiment. Je me souviens que, souvent, je passe l’aspirateur pour ne plus penser à rien d’autre que passer l’aspirateur : le bruit, la tâche, la quête de la tache, tout ce qui condense, absorbe, et dispense in fine de se savoir exister. C’est ce que j’ai fait ce matin, et la poussière. Je ne suis pas très doué pour, mais la détermination est réelle. Simplement, je crois que je cache mal mon jeu : je ne traque pas tant la miette ou le grain de poussière que l’oubli, le pardon de l’inconscience, la béatitude du silence de l’âme, les gestes automates, et les salades de tomates. Je n’accomplis pas la tâche pour son accomplissement, j’accomplis la tâche pour l’accomplir, rien que pour ne pas me sentir exister, rien que pour simplement exister, sans supplément. L’oubli de soi, quand on y pense, c’est une chose curieuse que de le chercher, ne trouves-tu pas ? On ne sait jamais qu’on atteint au but puisque le but est la disparition du but, la disparition du moi, le tacet de la psyché. Tu vois, je ne puis m’en empêcher, il faut toujours que je voie des bizarreries partout, comment ne serais-je pas bizarre moi-même, alors, à force ? À moins que ce ne soit l’inverse : si je vois du bizarre partout, c’est parce que je suis bizarre avant tout, et ce bizarre, je le transporte avec moi, il est où que je sois. Et pour les gens comme moi, il existe toujours une solution de moins que de problèmes. À croire que nous les cherchons pour vivre. Ne faut-il pas une raison ? Ne sont-elles pas aussi bonnes les unes que les autres, après tout ? Souviens-toi : détrompe-toi. (Ne crois pas que tu vas sauver le monde, ne crois pas que tu vas te sauver toi-même.) Ce n’est pas une raison de faire n’importe quoi. Mais le ménage, ce n’est pas n’importe quoi.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.