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Faut-il croire en quelque chose pour écrire quelque chose ? J’entends : autre chose que soi-même, qui n’est pas une chose, mais quoi ? Je ne sais pas. Rien ? Sans doute. C’est-à-dire : pas une chose, pas une entité, qui dirait que l’air est une chose, l’eau, une entité ? Non, on sait en donner une définition chimique, par exemple, mais on ne s’aventurerait pas à en faire un être, un élément, oui, peut-être, tout au plus, comme dans l’ancienne physique. Non, que x soit ne signifie pas que ce soit une chose. Mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Et je ne sais plus très bien ce que je voulais dire. Dans l’idée que je me faisais de ce que je voulais dire en commençant à écrire, il devait être question de plusieurs sujets : la société égalitaire, l’éducation, le paragraphe 174 du Gai savoir, et peut-être que je n’ai pas su comment mettre tout cela ensemble, peut-être que rien de tout cela ne va ensemble, peut-être que ce n’est pas le bon moment, je ne sais pas, mais voici où j’en suis : nulle part, à essayer de noter quelques phrases assez cohérentes pour parvenir du début à la fin, mais est-ce vrai ? Est-ce quelque chose ? Quoi ? Écrire. Qu’est-ce que tu veux dire ? Mais enfin, c’est la rentrée littéraire, et moi, je suis là, qui. Mais non, ce n’est pas ce que je veux dire. C’est peut-être ce qu’un autre moi que ce moi-ci voudrait dire, mais moi, non, pas celui-ci, pas en ce moment, non. Je suis arrivé à Marseille dans l’après-midi. Et ce soir, je me suis installé sur la terrasse de l’appartement que nous avons loué pour écrire. Un vent frais souffle, des plus agréables. Les bruits de la ville me parviennent d’assez loin, étouffés, ou atténués, ils ne sont pas intrusifs, même si les pots d’échappement des motos rendent un vacarme grotesque, ils font partie d’un paysage sonore que je trouve vivable, accueillant, voire. Au contraire des avions, qui passent dans le ciel, avec une régularité de machine, j’entends le bruit de leurs moteurs et, avec leurs lumières qui clignotent, on dirait des anges absurdes, un peu imbéciles. Je ne comprends pas comment nous pouvons vivre comme nous vivons. Mais qui s’en soucie ? Et puis, qui vit autrement ? Peut-être que rien n’a de sens, mais dire que rien n’a de sens, en a-t-il un ?