Nuages accrochés à la colline qui plonge dans la mer. D’un pays imaginaire : Orienccident. Ou quelque chose du genre. Ne suis-je pas moi-même une sorte d’Oranccident ? Bonheur de l’accident, peut-être, en effet. Des hauteurs de Bompard, je descends aux Catalans, bifurque vers la Corniche jusqu’à Borély et puis retour par Endoume au point du départ. Je crois en une forme de beauté qui permette de surmonter la grotesquerie de l’existence — modes standardisées, corps tatoués, femmes dissimulées —, qui porte le regard un peu plus loin, non pour le détourner, mais pour mieux voir, j’imagine. Oui, j’imagine. Il y a le paysage que je vois et le pays qui n’existe pas. Méditerranée rêvée, bien sûr, ne l’a-t-elle pas toujours été ? Homère, dans l’Odyssée, déjà, ne disait-il pas que la mer était couleur de vin rouge profond ? Oἶνοψ πόντος, la mer à l’aspect de vin que nul, désormais, ne s’aventurerait plus à décrire ainsi. Écrire est une aventure. Aux frontières du monde connu, aux frontières de la langue connue, aux frontières de la perception connue, et j’oserais dire : aux frontières de la connaissance connue. Il y a tant de connaissance inconnue, et pas seulement en avant, dans une sorte d’avenir fantasmé, mais là, autour de nous, partout. Dans une vidéo de l’exposition, Dominique Hauvette, en parlant de son vin, répète deux fois le mot : amour. En courant, je regarde mes collines aux sommets desquels les nuages se sont accrochés, dénivelée de la terre qui s’enfonce soudain dans la mer. Les gens, me dis-je, les gens ne sont pas à la hauteur de cette vision. Mais moi, le suis-je ? Je ne le crois pas, non. Quand, en sortant du Mucem, je me suis assis sur un banc pour dessiner ce que je voyais — un autre colline que celles que je verrai ensuite, du côté de Marseilleveyre, qui s’enfonce elle aussi dans la mer et une île au loin —, je m’en suis trouvé incapable. Alors, j’ai déchiré l’une après l’autre les deux pages sur lesquelles je m’étais aventuré. Moi non plus, je ne suis pas à la hauteur de ma vision, me dis-je, mais la vision permet de dépasser cette infériorité, permet une élévation, une sublimation. Autrement, que ferions-nous ? Nous dépéririons. Autrement, que ferais-je ? Comme tout le monde. En courant, éclairs de lucidité, voyant les gens, les modes de vie, comme on dit, je me suis dit : Tant mieux, l’art va enfin redevenir l’affaire d’une minorité. Mais cela ne veut rien dire, il en a toujours été ainsi. Ah oui, tu crois ? Je ne sais pas. Passant par Noailles et le marché des Capucins, comme souvent, pour prendre le tramway et aller voir mon vieux père devenu aveugle du côté de Saint-Barnabé, je me suis dit que je n’avais rien contre les communautés, à condition qu’elles ne soient ni des forteresses ni des prisons, ce que — bien évidemment — elles sont. Comment faire, alors ? Comment faire quoi ? Je ne sais pas : la vie.

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