Quelques traits au crayon sur la feuille pliée en deux où je prends des notes semblent former le visage d’un extraterrestre. Ce visage inexpressif, du moins, qu’on leur prêtait au siècle dernier quand ils peuplaient encore l’univers de la fiction populaire. Et la couleur grise du lointain outre-univers d’où l’on supposait alors qu’ils devraient provenir. Aujourd’hui, il se peut que nous soyons devenus si étranges à nous-mêmes, dont nous n’avons pourtant jamais été aussi proches, que l’idée ne nous vienne même plus (ou bien moins) d’aller chercher si loin. Évidemment, l’autorité en première personne de l’individu sur ses propres contenus de conscience (« Je suis le seul à savoir ce que je ressens vraiment ») est un mythe — Proust sait mieux que toi ce que tu ressens —, mais si tout le monde y croit, ne finit-il pas par devenir une vérité, la vérité ? Plus nous croyons nous approcher de nous-mêmes, et plus nous finissons par nous sentir éloignés, des autres, de soi, de tout ce qui se tient à la surface de la terre. Et cette distance paraît à la fois nécessaire — inéluctable, ou comment dire ? destinale — et incompréhensible. C’est peut-être la ressemblance qui nous déforme, nous fait paraître difformes. Je saute au plafond dans l’espoir de tuer le moustique qui s’y trouve installé. Est-ce le même qu’hier ? Je ne sais pas. Mais, l’ayant raté, je me dis qu’il est probable que ce sera le même que celui de demain. Claqué au plafond, eussé-je aimé dire à Daphné, pour la faire rire, elle qui m’avait rapporté cette expression employée par ses camarades de classe pour signifier la nullité d’une chose : « claquée au sol », mais il n’en aura rien été, ayant échoué dans la tâche, modeste certes, mais non négligeable que je m’étais assignée. Quand, soudain, dans un moment d’égarement, le moustique, qui n’avait pas compris la fin qui serait la sienne, pensant pouvoir nourrir gracieusement sa progéniture de mon sang pur, revient se poser au plafond. Aux aguets, je l’observe. Me dresse sur le lit et, dans un bond homérique, écrase la bestiole qui va s’écraser au sol en une pathétique spirale. Non sans une certaine fierté, je vais faire part de mon trait d’esprit à Daphné qui s’esclaffe, à moins que ce ne soit tout bêtement son rhume qui la fasse éternuer. Après être allé courir, en fin de matinée, pour trouver comment traduire une expression qu’on trouve dans un des fragments que WB a consacrés à Baudelaire et qu’on a publiés sous le titre de Zentralpark — ou plutôt pour vérifier si mon intuition (c’est une façon de parler) était bonne —, j’ai fait un détour par Descartes, le latin philosophique, la traduction de ce latin en allemand, avant le retour au français. Tout ça pour deux mots, me suis-je dit, n’est-ce pas quelque peu excessif ? Creatio continua. Ne trouves-tu pas qu’on travaille mieux souvent sur des vulgaires feuilles de papier récupérées et pliées en deux ? Comme si la main était là plus libre et que, parvenue à se défaire de l’horizontalité, loin de se faire brouillonne, au mépris de l’erreur, elle partait à l’aventure.

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