Aucune énergie, rien envie de faire, envie de ne rien faire, plutôt, alors je ne fais rien. Dans le texte qu’il a consacré au texte Sur le concept d’histoire de WB, Michael Löwy, qui voit son auteur comme un romantique, écrit (Walter Benjamin : avertissement d’incendie, une lecture des Thèses « Sur le concept d’histoire », p. 17) : « On pourrait définir la Weltanschauung romantique comme une critique culturelle de la civilisation moderne (capitaliste) au nom de valeurs prémodernes (pré-capitalistes) — une critique ou protestation qui porte sur des aspects ressentis comme insupportables et dégradants : la quantification et la mécanisation de la vie, la réification des rapports sociaux, la dissolution de la communauté et le “désenchantement du monde”. Son regard nostalgique vers le passé ne signifie pas qu’elle soit nécessairement rétrograde : réaction et révolution sont autant de figures possibles de la vision romantique du monde. Pour le romantisme révolutionnaire, l’objectif n’est pas le retour au passé, mais un détour par celui-ci vers un avenir utopique. » Mais, à mon sens, ce n’est pas simplement l’avenir qui est utopique pour la romantique (plutôt que du romantisme, il vaudrait mieux parler du ou de la romantique en tant qu’individu, personne singulière, qui est toujours une sorte d’anomalie, de bizarrerie, d’étrangeté), le passé lui-même est utopique, qui ne fut peut-être jamais en tant que réalité (la réalité n’est jamais simple, univoque), mais qui peut prendre une signification en tant que possibilité régulatrice, horizon d’orientation, sens. C’est très clair chez Rousseau dont le « Commençons donc par écarter tous les faits » est d’une rare éloquence, qui ne signifie pas que tout est faux, tant s’en faut, mais que tout est fiction au sens d’expérience de pensée, comme dans l’état de nature ou la naissance de la propriété privée : « Le premier qui, ayant mis un enclos, s’avisa de dire : Ceci est à moi… », lesquels n’existent pas en tant que périodes, moments, ne sont pas en tant qu’événements historiques, mais circonscrivent un horizon temporel dans lequel inscrire notre compréhension de l’histoire en tant que mouvement, changement, transformation. La nostalgie qu’éprouve la romantique est donc toujours un peu bizarre parce que cette nostalgie est attachée à une époque qui n’a probablement jamais existé que comme pensée. Ce qui, encore une fois, ne signifie pas qu’elle soit erronée ni qu’elle soit mensongère ou que la romantique triche, mais que la romantique n’est pas une réaliste, et que sa conception transcende au contraire la réalité dans la mesure où, la réalité n’étant pas satisfaisante, il n’est pas tolérable de s’y limiter comme réalité tout entière. La romantique critique et proteste moins qu’elle n’imagine quelque chose d’autre, propose un autre chemin inexploré, d’où encore une fois son étrangeté, le sentiment qu’elle est en décalage, ce qui (comme le souligne Löwy) est parfaitement vrai de WB, d’où son aspect inclassable aussi : on ne sait pas dans quel rayon de la bibliothèque mondiale ranger la romantique précisément parce que la romantique dérange l’ordre, le cours du temps, la marche du progrès qu’elle fait trébucher. Elle court-circuite aussi bien la linéarité du temps que sa circularité. Sa figure est le cercle-flèche de la spirale, une contradiction dont la résolution est l’accomplissement de l’histoire, ou plutôt peut-être, parce qu’il n’y a pas qu’une seule et unique histoire, la fin d’une histoire.

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