Un peu comme si j’assistais en direct à ma propre disparition. Hier, mon père ne m’a pas appelé pour mon anniversaire. Évidemment, c’est la première fois qu’il oublie. Et cet oubli, je mentirais si je ne disais pas que je l’attendais, que je ne savais pas avant que mon père m’oublie qu’il allait m’oublier, mais je n’ai rien fait là-contre, je n’ai pas appelé mon père, par exemple, pas appelé pour lui dire quelque chose comme : « N’as-tu pas l’impression d’oublier quelque chose ? », non, j’ai laissé cette déconcertante chose être la déconcertante chose qu’elle est parce que c’est ainsi que le monde est, parce qu’il ne sert à rien de faire comme si les choses allaient bien quand les choses vont mal, non, il faut que les choses soient comme elles sont et quand elles ne sont pas comme je voudrais qu’elles fussent, les choses, je veux les voir comme elles sont, comme les choses qu’elles sont, comme les choses sont quand elles sont des choses, et quand elles n’en sont pas, des choses, quand elles sont simplement la pourriture dégoûtante qu’est la vie, la vie qu’on ne veut pas, la vie qui a lieu quand même, cela, je veux le voir aussi, je veux le savoir aussi. Je ne veux pas dissimuler l’existence du mal, pas dissimuler l’existence de la mort, je n’ai que faire de ce kitsch mortifère et sa bienveillante fausseté, de sa bienveillante insensibilité. Plutôt à fleur de peau que fanée. Un peu comme si je disais : je veux regarder la mort fixement. Est-ce vrai que le soleil ni la mort ? Quelle différence cela ferait-il que ce soit vrai ou que ce ne le soit pas ? Tout est vain abysse au fond duquel on s’abîme. Peu à peu, je m’efface. C’est ainsi. J’ai longuement parlé avec Pierre au téléphone en fin de journée. Et cela m’a fait beaucoup de bien parce qu’il y avait longtemps que je n’avais pas eu une conversation sensée avec quelqu’un et que cette conversation s’est achevée dans un éclat de rire alors qu’elle a été placée sous le signe de la mort, du mal, de la guerre. Ainsi va la vie. Non : ainsi devrait aller toute vie, on ne rachètera pas le mal, c’est impossible, mais on peut faire la vie bonne, c’est un art de penser, d’exister, de se mouvoir, de sentir, d’occuper un certain espace-temps parmi l’univers. Hier, j’ai écrit un poème. Aujourd’hui, j’ai cherché à en écrire un autre, mais il ne m’est rien venu. À un moment, je me suis absorbé dans la contemplation des nuages dans le ciel ailleurs bleu, et c’était une rare merveille. J’ai eu la sensation de me déplacer avec eux, ou alors j’ai été pris de vertige, je ne sais pas.

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