11025

J’ai froid. Mais la cause ne se lit pas sur les courbes de température (ni dedans ni dehors). Plutôt en ceci : je me sens seul, bête, vieux et fatigué. Et donc, j’ai froid. J’ai écrit un poème ce matin, un poème que je ne comprends pas, et qui me rend heureux. Pas spécialement de ne le comprendre pas, non, simplement de l’avoir écrit. Va le vendre, ça. Évidemment, on ne le peut pas. Dans le même temps, je regarde ce petit lopin de l’univers : le comédien célèbre qui se filme en train de faire la promotion de son petit livre, la jeune femme passionnée de yoga et de développement personnel qui se photographie les fesses à l’air au bord de sa piscine, — qu’est-ce que cela veut dire ? Quelque chose, probablement, oui, mais quoi ? je n’en sais rien. À un moment de la courbe, l’inflation du non-sens ne doit-elle pas nous inciter à l’inverser ? Mais c’est comme l’ambulance avec ses deux sirènes qui hurlent à m’en percer les tympans et qui doit encore klaxonner pour se frayer un chemin sur le boulevard pourtant quasi désert. De tout cela, et de tant d’autres choses encore dont je n’ai pas l’intention de faire le catalogue, ni ici ni ailleurs, rien n’a de signification, et pourtant, nous continuons quand même. Nous allons plus loin quand, peut-être, il faudrait rester ici, tout simplement, voir comment c’est fait, tâcher d’y comprendre quelque chose ou se féliciter de ne rien comprendre du tout. Bientôt, me suis-je dit, je ne sais plus quand, peut-être était-ce à l’instant même, bientôt, sur le chemin de mon origine, il n’y aura plus personne de vivant, avant moi. Mais cela ne fera pas de moi le premier pour autant, ce sera simplement un peu plus de solitude. Même si cet état de fait a déjà commencé. L’ambiguïté, peut-être : je ne me sens pas proche de mon père, mais la distance qui grandit refroidit encore l’atmosphère. Il fait de plus en plus froid. Ou peut-être est-ce moi, c’est tout. Moi qui ne sais pas, moi qui ne comprends pas, moi qui cherche quelque chose qui n’existe pas, moi qui ne sais pas quoi faire de ma vie, moi qui vieillis, moi qui espère quelque chose qui me désespère ou me désespère d’espérer encore.