21025

And doom goes with her in walking, étais-je en train de lire quand la manifestation est passée sous mes fenêtres, rendant impossible par le vacarme qu’elle faisait toute forme de concentration. Pourtant, il n’y avait pas grand-monde sur le boulevard, les rangs des manifestants étaient clairsemés, il me semble que c’est ainsi que l’on dit, et l’on avait du mal à savoir, en vérité, pourquoi tous ces gens qui étaient là étaient là, ce qu’ils avaient en commun, à part leur mécontentement vociférant. Est-ce que cela fait un programme politique, le mécontentement ? Il est probable que non, mais cela fait du bruit, oui, et c’est peut-être suffisant, après tout. Ou tout ce que l’on peut faire, plus certainement, pour avoir le sentiment d’exister. Qui vit à une époque comme la nôtre peut-il espérer autre chose ? Ce qui signifie aussi : avec la conscience des drames, des massacres auxquels les expériences collectives ont donné lieu au cours des siècles passés. L’auteur du poème que j’essayais de lire, plus mal que bien, n’en est-il pas l’expression, à sa façon ? Hang it all, Robert Browning, commence le poème, there can be but the one Sordello. Après quoi, il est question d’Hélène de Troie (And doom goes with her in walking), de Dionysos en bateau pour Naxos, et puis je ne sais plus quoi, je ne parvins plus à me concentrer. Au milieu de tout cela, il a été question de mon père, aussi. Et tout est devenu si confus que j’ai perdu toute force, toute envie, toute énergie, j’ai fermé le livre, regardé quelques instants encore les lettres capitales de sa couverture, et n’ai plus rien voulu, que le silence, et la nuit — noire — qui, comme le silence, ne viendrait pas, ne viendra plus jamais, ou alors ce sera la fin. Tout m’angoisse en ce moment, c’est épuisant. Je cherche un peu de détermination où je la peux trouver, mais tout semble m’échapper. À mesure que la manifestation passait sous mes fenêtres, j’ai noté quelques slogans. Et puis, j’ai pris quelques photographies, aussi. Mais j’ai tout effacé. Si peu de signification me semblait avoir ce à quoi j’assistais contre mon gré. Et puis, je ne lis pas Pound ébloui d’admiration. Le compagnon qui avance à mes côtés (qui l’est bien plus que je ne le suis, admiratif) ne manque jamais de souligner les erreurs de traduction qu’il commet. Et je sais dans quoi l’auteur s’est abîmé, je sais la bassesse, la laideur, la méchanceté qui furent les siennes, et l’humiliation dont il fut aussi — par vengeance, en quelque sorte — la victime. Et son ridicule. Dans l’un des poèmes auxquels je travaille, je décris ce ridicule, lequel me semble indissociable des expériences collectives dont je parlais à l’instant : certes, il y a la violence, certes, il y a la mort, certes, il y a l’utopie, mais il y a aussi la bêtise, laquelle ne peut pas être négligée, ne doit pas l’être, mais fait au contraire partie intégrante de ces expériences. Mais cela, je l’ai déjà dit, et mieux, je crois (17225). Ce que je cherche, c’est ma version de la Méditerranée, qui englobera tout ce que je veux dire. Car, ce qui est né dans ce bassin, il y a quelques milliers d’années, ne peut pas mourir, il ne faut pas le laisser mourir. Mais encore faut-il le dire.