31025

Pas de pause. J’entends : on ne peut pas se dispenser de vivre durant deux ou trois heures de temps à autre, une journée, quelques jours, alors on traîne cette encombrante carcasse qu’on appelle “la personne” dans l’espoir d’en faire quelque chose, de parvenir à dépasser l’état déplorable d’abattement, de déréliction dans lequel on se trouve, mais cela n’advient jamais, et pourquoi ? Eh bien sans doute parce que cette question absurde, qui commence par pourquoi ? A-t-on jamais trouvé une réponse à une question commençant par pourquoi ? Bien sûr que non. J’ai passé une partie de la journée à constituer un dossier de bourse pour mon catalogue des tombes, lequel ne s’appelle plus désormais comme cela, mais catalogue des profondeurs, titre qui, je l’espère, ne sera pas définitif, mais il faut bien nommer les choses (même si j’aime bien des profondeurs). J’ai écrit à Rodhlann, avec qui j’avais déjà parlé du projet, et il m’a assuré de son soutien, malgré le virus, ce qui m’a fait du bien, je crois, non pas de savoir qu’il publiera l’ouvrage si jamais je devais parvenir à le terminer, mais qu’il est là, qu’il m’écoute, que ce que je lui dis a du sens pour lui, qu’il s’y retrouve, qu’il y trouve quelque chose qui s’adresse à lui. Pour qui écrit-on, c’est vrai, sinon des gens dont on se sent proche ? Il me demande pourquoi je ne cherche pas un autre éditeur, un qui pourrait m’offrir l’exposition que je mérite, me dit-il, mais est-ce vraiment ce dont j’ai besoin ? Je n’en suis pas certain. J’ai besoin de chair humaine, ai-je envie de dire, non par goût cannibale, même si l’on pourrait se demander si toutes les relations que nous avons les uns avec les autres ne sont pas fondamentalement cannibales, mais parce que c’est l’amitié qui compte avant tout, que nous puissions nous parler, nous comprendre, entendre les désaccords, et tout ce qui forme une vie humaine. Et ce n’est pas quelque chose que je dis pour me consoler de n’avoir pas de succès, mais parce que c’est vraiment ce que je ressens. Qui peut vouloir vendre son âme pour quelques euros de plus et cinq minutes de célébrité ? Et qui, y consentant, serait assez la dupe de soi pour s’illusionner quant à son intégrité ? Mirages, tout cela. Mieux vaut se concentrer sur ce qui importe vraiment : écrire.