La lecture du journal, qui est la mise à l’écrit de l’Occident nouveau, suscite en moi le désir d’une fin prochaine de l’Occident, ou plutôt de la disparition prochaine de toutes les Occidentales et de tous les Occidentaux qui peuplent notre petit monde. Comment peut-on répandre ainsi ses états d’âme sans la moindre vergogne, mais avec la conviction, bien au contraire, que chacun d’eux est essentiel, que son expression est éminemment vitale, et qu’il faut surtout ne jamais rien garder pour soi, ne jamais entretenir la moindre relation critique avec ses propres contenus de conscience, ne jamais douter de ses capacités à y accéder sans erreur, sans mensonge, quand même nous ne ferions en réalité que cela : nous tromper, nous mentir ? Je tâche de trouver une consolation : ce journal n’est-il pas la négation du journal ? Mais est-ce bien sincère ? Est-ce bien sérieux ? J’en doute, mais j’ai ressenti comme une sorte de choc, ce matin, ou hier au soir, je ne sais plus, tous les jours, peut-être — mais alors pourquoi le lis-je encore ? il faut connaître l’ennemi ; balivernes —, comme si, tombé tout au fond de l’abîme de la nullité, du désintérêt le plus total, je rebondissais soudain comme une balle, et remontais en retour bien plus haut que là d’où j’étais parti. Et qu’ai-je fait tout là-haut ? Eh bien, la seule chose qu’il nous soit donnée de faire : je me suis affaissé, lourdement, mollement, bêtement. Je dirais bien à présent que c’est pour fabriquer comme une sorte d’antidote à ce dégoûtant sentiment que j’ai copié les deux premiers poèmes des Bonnes Mères dont je t’avais déjà parlé, mais justement, je n’ai pas envie de te tromper, je n’ai pas envie de te mentir parce que je n’ai pas envie de me mentir, je n’ai pas envie de me tromper. Même si les motifs de la venue ne sont pas des plus réjouissants (nous devions aller passer les vacances de la Toussaint à Daoulas, comme nous en avions très envie, mais l’état de santé de mon père a choisi pour nous cette autre destination), je suis heureux de revenir à Marseille. En effet, la vérité est simple : j’ai besoin de la Méditerranée, de sa lumière, de son atmosphère, il ne m’est pas possible de vivre sans.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.