121025

D’abord, j’ai pensé à écrire « inutile », mais il m’a semblé évident que ce n’était pas le mot qui convenait. Quel serait alors le mot qui conviendrait ? « Vain », ai-je pensé. Et n’est-ce pas vrai que la plus grande part de ce que nous faisons — de ce à quoi nous accordons de l’importance, de ce qui occupe les esprits, et par « nous », je n’entends pas désigner quelque collectif bien défini auquel j’appartiendrais, je n’appartiens à aucun collectif d’aucune sorte, du moins pas de façon intentionnelle, si c’est le cas, alors ce cas me tombe dessus, je n’y puis rien, j’en suis la victime non consentante, et c’est un collectif de ce genre que j’entends désigner ici par « nous », quelque chose qui nous inclut sans que nous le voulions réellement, un peuple, une époque, quelque chose de vague, aussi, sans doute, un peu — est en vain ? Et qu’il faudrait passer dès lors le plus clair de son temps à ne pas le faire, mais à quoi faire ? Eh bien, non pas rien, mais autre chose. Toutes les messes que nous célébrons et qui rythment la vie sociale (les événements, récurrents ou non, qui donnent de l’importance à la vie de la communauté, qui la rassure, et ainsi la constitue en tant que telle, lui donne le sentiment de son existence, de sa légitimité, voire de sa nécessité) ne m’inspirent guère que cela (sur le ton doux et résigné de la lamentation) : que c’est vain. Je n’ai pas choisi d’être ainsi, il me semble que je l’ai toujours été : je n’ai jamais marché dans la combine, je n’ai jamais aimé l’unanimité, ni même le consensus, ni même le dissensus organisé (le débat d’idées qui n’est jamais qu’une préparation à la guerre ou sa parodie symbolique qui ne la met pas vraiment à distance, la singe et nous accoutume à ne plus rien comprendre, ne plus rien penser de spécifique, qui nous soit propre). Les techniques modernes de diffusion de l’information, contrairement à ce que l’on peut penser, n’ont pas changé fondamentalement la nature de la vie sociale, elles n’ont fait que renforcer ses aspects les plus détestables, repousser dans des marges toujours plus étroites, inexistantes, ou presque, quasi inhabitables, toute chance d’une échappatoire, d’une fuite, d’un évitement, et intensifier un processus qui semble être le destin même du progrès (le progrès ayant cette propriété extravagante de s’auto-engendrer, même — et surtout, peut-être — quand il ne produit que des nuisances, des effets pervers, des conséquences indésirables, des promesses déçues, du dépit et, pis que tout, de la tristesse) au terme duquel c’est chaque instant qui doit devenir historique. Il faut toujours que quelque chose se passe, et l’on assiste peiné au spectacle de masses occupées à admirer, aduler, détester, gesticuler, s’agglutiner, vociférer, se battre, s’entretuer, être. Le progrès ne nous a pas donné un centimètre carré de plus où exister, pas un centimètre cube d’air en plus à respirer, mais moins, toujours moins, et chaque année qui semble gagnée sur la mort — car tel est le fondement du progrès, sa promesse de plus — est en réalité gagnée par le diminuement, le dénuement, et la démence.